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DEVOIRS DES PERES.

COMME la véritable nourrice de l'enfant est la mere, le véritable précepteur est le pere. Qu'ils s'accordent dans l'ordre de leurs fonctions, ainsi que dans leur systême; que des mains de l'un l'enfant passe dans celles de l'autre. Il sera mieux élevé par un pere judicieux et borné, que par le plus habile maître du monde ; car le zele suppléera mieux au talent, , que le talent au zele.

Un pere quand il engendre et nourrit des enfans, ne fait en cela que le tiers de sa tâche. Il doit des hommes à son espece, il doit à la société des hommes sociables, il doit des citoyens à l'état. Tout homme qui peut payer cette triple dette, et ne le fait pas, est coupa ble et plus coupable, peut-être, quand il la paie à demi. Celui qui ne peut remplir les devoirs de pere, n'a point droit de le devenir. Il n'y a ni pauvreté, ni travaux ni respect humain qui le dispensent de nourrir ses enfans et de les élever lui-même. Lecteurs, vous pouvez m'en croire. Je prédis à quiconque a des

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entrailles, et néglige de si saints devoirs, qu'il versera long-tems sur sa faute des larmes ameres, et n'en sera jamais con

solé.

Mais, que fait cet homme riche, ce pere de famille si affairé, et forcé selon lui, de laisser ses enfans à l'abandon? Il paie un autre homme pour remplir ses soins qui lui sont à charge. Ame vénale! crois-tu donner à ton fils un autre pere avec de l'argent? Ne t'y trompe point; ce n'est pas même un maître que tu lui donnes, c'est un valet. Il en formera bientôt un second.

Un pere qui sentiroit tout le prix d'un bon gouverneur, prendroit le parti de s'en passer; car il mettroit plus de peine à l'acquérir, qu'à le devenir lui-même. Veut-il donc se faire un ami? qu'il éleve son fils pour l'être : le voilà dispensé de le chercher ailleurs, et la nature a déja fait la moitié de l'ouvrage.

ÉDUCATION.

Nous naissons foibles, nous avons

besoin de forces; nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin de ju

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gement. Tout ce que nous n'avons pas notre naissance, et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l'éducation.

Cette éducation nous vient de la na

ture, ou des hommes, ou des choses. Le développement interne de nos facultés et de nos organes, est l'éducation de la nature: l'usage qu'on nous apprend à faire de ce développement est l'édu cation des hommes ; et l'acquis de notre propre expérience sur les objets qui nous affectent, est l'éducation, des choses.

Chacun de nous est donc formé par trois sortes de maîtres. Le disciple, dans lequel leurs diverses leçons se contrarient, est mal élevé, et ne sera jamais d'accord avec lui-même: celui dans lequel elles tombent toutes sur les mêmes points, et tendent aux mêmes fins, va seul à son but et va conséquemment. Celui-là seul est bien élevé.

L'éducation de l'enfance est celle qui importe le plus; et cette premiere édu cation appartient incontestablement aux femmes. Si l'auteur de la nature eût voulu qu'elle appartînt aux hommes, leur eût donné du lait pour nourrir les enfans. Parlez donc toujours aux fem

il

mes, par préférence, dans vos traités d'éducation; car, outre qu'elles sont à portée d'y veiller de plus près que les hommes, et qu'elles y influent toujours davantage, le succès les intéresse aussi beaucoup plus, puisque la plupart des veuves se trouvent presque à la merci de leurs enfans, et qu'alors ils leur font vivement sentir, en bien ou en mal, l'effet de la maniere dont elles les ont élevés. Les lois, toujours si occupées des biens et si peu des personnes, parce qu'elles ont pour objet la paix et non la vertu, ne donnent pas assez d'autorité aux meres. Cependant leur état est plus sûr que celui des peres; leurs devoirs sont plus pénibles, leurs soins im portent plus au bon ordre de la famille, généralement elles ont plus d'attachement pour les enfans. Il y a des occasions où un fils qui manque de respect à son pere, peut, en quelque sorte, étre excusé: mais dans quelque occasion que ce fût, si un enfant étoit assez dénaturé pour en manquer à sa mere, à celle qui l'a porté dans son sein, qui l'a nourri de son lait, qui, durant des années s'est oubliée elle-même, pour ne s'oc super que de lui, on devroit se hâter

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d'étouffer ce misérable, comme un mons tre indigne de voir le jour.

Celui d'entre nous qui sait le mieux supporter les biens et les maux de cette vie, est le mieux élevé d'où il suit que la véritable éducation consiste moins en préceptes qu'en exercices.

Si les hommes naissoient attachés au sol d'un pays, si la même saison duroit toute l'année, si chacun tenoit à sa fortune de maniere à n'en pouvoir jamais changer, la pratique d'éducation établie seroit bonne à certain égard; l'enfant élevé pour son état, n'en sortant jamais, ne pourroit être exposé aux inconvéniens d'un autre. Mais, vu la mobilité des choses humaines, vu l'esprit inquiet et remuant de ce siecle qui bouleverse tout à chaque génération, peuton concevoir une méthode plus insensée que d'élever un enfant, comme n'ayant jamais à sortir de sa chambre, comme devant être sans cesse entouré de ses gens? Si le malheureux fait un seul pas sur la terre, s'il descend d'un seul degré, il est perdu. Ce n'est pas lui apprendre à supporter la peine, c'est l'exer cer à la sentir.

Souvenez-vous toujours que l'espria

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