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l'art de versifier est l'ornement de la que beauté. L'art dramatique, par ses rapports avec les mœurs, le goût, l'esprit public, et par les moyens dont il est susceptible pour les corriger, est un objet important; mais combien d'autres objets également d'un grand intérêt, M. de La Harpe n'at-il pas négligés? Combien d'ouvrages d'un mérite supérieur, n'a-t-il pas entièrement oubliés, ou qu'il n'a examinés que trèssuperficiellement?

Dans une note de sa préface (*), M. de La Harpe nous annonce un supplément qui aura uniquement pour objet la philosophie du dix-huitième siècle : quelques morceaux qu'il avoit communiqués, ont été imprimés dans le Mercure de France, et ils sont faits pour donner une haute idée de la manière dont il faut supposer qu'il traite ce sujet.

Mais avant que vous lisiez, Madame, l'esquisse que j'ai tracée de la littérature

(*) Tome I, page v1.

française, je crois devoir vous exposer quelques raisons de l'universalité de sa langue. Plusieurs personnes s'imaginent qu'elle la doit au siècle imposant de Louis XIV, aux guerres de ce temps-là, qui donnèrent tant de rapports aux Français avec les autres peuples; enfin, aux grands écrivains qui ont illustré la France à cette époque. Mais je pense que cette opinion n'est point fondée : la langue française étoit généralement en usage depuis plusieurs siècles (*). Les croisades et les guerres en

(*) Un auteur italien qui a écrit une chronique de Venise jusqu'en 1275, l'écrivit en français, et il en donne cette raison parce que la langue française est plus cort parmi le monde, et est plus délittable à lire et à oir que nulle autre. J'ai trouvé ee fait, qui m'a paru intéressant, dans un ouvrage de M. de Meilhan.

Le fameux S. François d'Assise, père d'un si grand nombre de mendians, ne fut appelé François, que parce que son père, qui le destinoit au commerce, lui fit apprendre le français, qu'il parloit comme un français même : ceci date de l'an 1190. Les causes de l'universalité de la langue française ont été le sujet d'un prix proposé par l'académie de Italie,

Italie, sous Charles VIII, Louis XII et François Ier., l'avoient déjà répandue dans tout le midi de l'Europe; et sa manière de procéder, simple et méthodique, appropriée à la marche des idées, lui a valu la préférence sur les autres langues. Comme par exemple dans ces vers de Voltaire:

Sur les bords fortunés de l'antique Idalie,
Lieux où finit l'Europe, et commence l'Asie.

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Ainsi que dans ceux-ci de La Fontaine, dont la pensée est si belle, et dont les expressions heureuses ont tant de force et de précision:

Je lis au front de ceux qu'un vain faste environne, Que la fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne.

On ne trouveroit pas deux vers qui exprimassent plus de choses, en aussi peu de mots si heureusement choisis.

Berlin, il y a vingt-cinq ans environ. Rivarol, homme de beaucoup d'esprit, a concouru avec succès, et son discours, qui a remporté le prix, est imprimé. Un Allemand, M. Schwab, a jeté le plus grand jour sur cette question.

Je ne crois pas qu'on puisse, dans aucune langue moderne, exprimer en prose une pensée plus nettement que dans la langue française. J'en donnerai pour preuve quelques maximes très-connues.

« On dit son secret en amitié, il échappe

en amour. »

« On aime de toute sa force dans la jeunesse, et de toute sa foiblesse dans un âge avancé. »>

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L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. »

« L'intérêt, qui aveugle les uns, fait la lumière des autres. >>

«La passion fait souvent un fou du plus habile homme, et rend souvent habile le plus sot.»

« L'ambition est agitée par l'espérance, l'avarice par la crainte, etc. >>

Il est donc bien certain que la langue française est très-propre à la conversation, et qu'elle est devenue, par sa clarté, très-favorable pour écrire l'histoire, et sur-tout pour développer les matières

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philosophiques. Mais aussi sa marche mé thodique est peu propre à la poésie, laquelle, dans tous les pays, forme un langage entièrement séparé de celui qu'on emploie dans la prose. Il en résulte que si la langue française jouit de l'avantage d'exprimer clairement la pensée, elle n'of fre rien de poétique ni de musical. Rousseau a dit que c'étoit la langue de la raison.

Presque aucune langue n'est moins originale, n'est moins ce qu'on appelle une mère langue, que la langue française. Jusque dans le 10°. siècle, ce n'étoit qu'un composé de la langue des Gaulois ou des Celtes, des anciens habitans des bords du Rhin, des Scandinaves ou Danois, et des débris défigurés de la langue des Romains. Dans les croisades, toutes les langues se mêlèrent, et s'empruntèrent des expressions réciproques. Outre la communication que les Français eurent avec les Grecs, comme les autres croisés, ils fondèrent un empire à Constantinople, qui dura,

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