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» l'éclat de sa poésie, mais avec des négligences qui prouvent la lassitude plus que l'impuissance » du talent. Les défauts essentiels sont d'avoir omis quelquefois des nuances d'expression, ou des >> idées accessoires, dont l'effet est à regretter; >> d'avoir plus souvent encore dénaturé l'élégante précision de son modèle, en employant plusieurs » vers à rendre ce que Virgile exprime en beau>> coup moins d'espace; d'avoir enfin ajouté aux » idées de l'original des idées et des images qui » n'ont pas assez la couleur antique, et surtout >> celle de Virgile.

>> De telles imperfections dans la traduction d'un poëme de Virgile, ne peuvent être effacées par » les grandes beautés qui sont semées dans celle » de M. Delille, et ne permettent pas de la citer » comme un modèle. Nous insistons avec sévérité » sur cet objet, et voici pourquoi:

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>> M. Delille, comme tous les écrivains d'un ta>> lent supérieur et d'une réputation brillante, a produit une école : et les élèves, toujours plus disposés à imiter les défauts que les beautés de leur modèle, pourraient s'autoriser d'un si grand exemple, pour se permettre les mêmes écarts. >> Tant de causes semblent déjà concourir à la corruption du goût, qu'il importe de ne pas les multiplier. >>

De Saint-Diez il passa à Glairesse, village charmant de la Suisse, situé sur les bords du lac de Bienne, et vis-à-vis l'île de Saint-Pierre, célèbre par le séjour que le malheureux J.-J. Rousseau y fit quelque temps, et d'où il fut si cruellement banni par le gouvernement de Berne. Ce fut là Delille mit la dernière main à deux de ses poëmes, l'Homme des champs et les trois Règnes de la nature. Je citerai de ce dernier poëme,

que

Le Chien.

A leur tête est le chien, aimable antant qu'utile,
Superbe et caressant, courageux, mais docile.
Formé pour le conduire et pour le protéger,
Du troupeau qu'il gouverne, il est le vrai berger.
Le Ciel l'a fait pour nous; et dans leur cour rustique,
Il fut des rois pasteurs le premier domestique.

Redevenu sauvage,

il erre dans les bois :

Qu'il aperçoive l'homme, il rentre sous ses lois;
Et par un vieil instinct qui jamais ne s'efface,
Semble de ses amis reconnaître la race.
Gardant du bienfait seul le doux ressentiment,
Il vient lécher ma main après le châtiment.
Souvent il me regarde; humide de tendresse,
Son œil affectueux implore une caresse.
J'ordonne, il vient à moi ; je menace, il me fuit;
Je l'appelle, il revient; je fais signe, il me suit.
Je m'éloigne, quels pleurs! je reviens, quelle joie!
Chasseur sans intérêt, il m'apporte sa proie.

Sévère dans la ferme, humain dans la cité,
Il soigne le malheur, conduit la cécité.

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Et moi de l'Hélicon malheureux Bélisaire (1),
Peut-être un jour ses yeux guideront ma misère.
Est-il hôte plus sûr, ami plus généreux?

Un riche marchandait le chien d'un malheureux;
Cette offre l'affligea : « Dans mon destiu funeste,
» Qui m'aimera, dit-il, si mon chien ne me reste? »
Point de trève à ses soins, de borne à son amour :
Il me garde la nuit, m'accompagne le jour.
Dans la foule étonnée on l'a vu reconnaître,
Saisir et dénoncer l'assassin de son maître :
Et quand son amitié n'a pu le secourir,
Quelquefois sur sa tombe il s'obstine à mourir.

Après deux ans de séjour en Suisse, Delille se rendit à Fribourg en Allemagne (2), où il composa le Poëme de la Pitié, duquel nous citerons les vers suivants sur la mort de Louis XVI:

D'autres du jour fatal retraceront l'image :

(1) M. Delille était dès-lors menacé de perdre la vue, qu'en effet il a perdue vers la fin de sa vie.

(2) Ce fut là que M. Delille reçut une lettre du duc de Brunswick, qui l'invitait à se rendre auprès de lui. En s'y rendant, M. Delille passa par Francfort, où je me trouvais alors. Il eut la complaisance de me réciter plusieurs morceaux de sa composition, entr'autres une description de la cour de Louis XIV, que je ne retrouve pas dans ses œuvres imprimées.

Dans ce vaste Paris, le calme du cercueil,
Les citoyens cachés dans leurs maisons en deuil,
Croyant sur eux du Ciel voir tomber la vengeance,
Le char affreux roulant dans un profond silence;
Ce char qui plus terrible, entendu de moins près,
Du crime, en s'éloignant, avance les apprêts;
L'échafaud régicide et la hache fumaute ;
Cette tête sacrée et de sang dégoûtante,
Dans les mains du bourreau de son crime effrayé.
Ces tableaux font horreur, et je peins la pitié!
La pitié pour Louis! il n'est plus fait pour elle.
O vous qui l'observiez de la voûte éternelle,
Anges, applaudissez; il prend vers vous l'essor.
Commencez vos concerts, prenez vos lyres d'or.
Déjà son nom s'inscrit aux célestes annales ;
Préparez, préparez vos palmes triomphales.
De sa lutte sanglante il sort victorieux,
Et l'échafaud n'était qu'un dégré vers les cieux.

(La Pitié, chant III.)

Delille passa ensuite en Angleterre, où il traduisit le Paradis perdu. Cette traduction, faite de verve, ne luia coûté que quinze mois de travail; mais lorsqu'on le félicitait sur une entreprise si heureusement terminée, il répondait qu'elle lui avait coùté la vie. En effet, à peine avait-il traduit la belle scène des adieux d'Adam et d'Eve au Paradis terrestre, qu'il sentit la première atteinte de paralysie dont les suites l'ont conduit au tombeau.

En 1801 Delille revint à Paris, et rentra au sein

de l'Académie française, ou deuxième classe de l'Institut.

Il est mort le premier mai 1813, à l'âge de soixante-quinze ans. L'Académie française en corps, et tout ce que la capitale avait de professeurs, de savants et d'hommes de lettres distingués, assistèrent à ses funérailles. Sa veuve lui a fait ériger, au cimetière du père La Chaise, un monument simple et tel qu'il l'avait demandé.

S'il a souvent négligé l'invention dans la conception et l'ensemble de ses poëmes, il nous en dédommage par l'esprit des détails, l'éclat de son coloris et l'harmonie soutenue de sa versification. De tous ses ouvrages, les Géorgiques, l'Imagination et le Paradis perdu sont ceux qui le recommandent le plus à l'admiration de la postérité.

On a reproché à Delille d'avoir emprunté des idées et des images à d'autres poètes.

Je lui en fis un jour la remarque, à propos de ce vers du poëme de l'Imagination:

Il ne voit que la nuit, n'entend que le silence,

évidemment imité du Darkness visible de Milton. Il en convint sans hésiter.

On ajoute qu'il aurait dû avouer ces emprunts dans des notes, ou autrement. Je ne sais: un poète

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