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>> mercions-le de l'hommage public qu'il a rendu » à son célèbre rival, quand il s'est écrié en pleine » académie Je vois ce génie véritablement » tragique; je le regarde avec une satisfaction » mélée de douleur, comme on voit sur les dé» bris de sa patrie un héros qui l'a défendue.

» C'est surtout à Crébillon qu'on peut appli» quer cette maxime : que la vie d'un homme de >>> lettres est dans ses ouvrages. Insouciant par ca»ractère, ennemi né de l'ambition, n'ayant pas >> même l'impatience du génie, la fortune n'eut >> en lui qu'un spectateur indifférent; la gloire » même, qu'un amant infidèle (1). »

« Nous n'avons pas d'auteur tragique, dit Mon» tesquieu, qui donne à l'ame de plus grands ➜ mouvements que Crébillon; qui nous remplisse » plus de la vapeur du dieu qui l'agite : il vous » fait entrer dans le transport des bacchantes. >>> On ne saurait juger son ouvrage, parce qu'il » commence par troubler cette partie de l'ame qui réfléchit. C'est le véritable tragique de nos >> jours, le seul qui sache bien exciter la vérita» ble passion de la tragédie, la terreur. >>

On pourrait croire que la sévérité que M. de La Harpe a exercée contre Crébillon, dans l'exa

(1) Annales poétiques.

men de ses ouvrages, avait pour principe son admiration pour Voltaire, qui paraît lui avoir inspiré un certain éloignement pour tous ses ri

vaux.

Quoique Crébillon semble avoir cherché et ait souvent réussi à peindre le terrible, cependant ceux qui l'ont connu m'ont assuré que personne n'était moins mélancolique que lui, et que, par sa gaîté, on l'aurait cru l'auteur des ouvrages de son fils.

Les pièces les plus estimées de Crébillon sont Atrée, Électre, et Rhadamiste.Voltaire donna le même sujet qu'Électre, mais sous le titre d'Oreste. Lorsqu'il présenta cette pièce à Crébillon, comme censeur des ouvrages dramatiil commença par s'excuser d'oser être son rival. Crébillon lui répondit avec beaucoup de douceur; « J'ai été content de mon Électre, » et je souhaite que le frère vous fasse autant » d'honneur que la sœur m'en a fait. »

ques,

Crébillon avait un frère chartreux, homme d'esprit et de talent; et ses ennemis disaient que c'était le frère chartreux qui avait écrit les meilleures tragédies qui paraissaient sous son nom. Un jour à table, quelqu'un de la compagnie demandait à Crébillon quel était son meilleur ouvrage; il répondit en montrant son fils:

« Tenez, voilà le plus mauvais ; » le fils répliqua étourdiment : « Il n'est peut-être pas plus de vous >>> que les autres. >>

DESTOUCHES.

Philippe Néricault Destouches, d'une bonne famille originaire d'Amboise, naquit à Tours en 1680. Il fut élevé à Paris, entra au service militaire, mais le quitta pour entrer dans la carrière diplomatique. Il fut envoyé par le Régent, en 1717, avec l'abbé, depuis cardinal Dubois, en Angleterre, où il resta quelques années. Il s'y maria avec une demoiselle écossaise, nommée Johnston. Ayant rempli sa commission, il revint avec sa femme à Paris. Le Régent, content de ses services, le mit à la tête du bureau des affaires étrangères, et il avait l'intention de le faire ministre de ce département; mais à la mort subite de ce prince, arrivée en décembre 1723, cette place fut donnée à un autre. Destouches alors se retira dans une terre qu'il avait achetée près de Melun. Il fut reçu à l'Académie française. Le cardinal de Fleury voulut ensuite l'employer; il offrit de l'envoyer ambassadeur à Pétersbourg, mais il s'excusa. Il continua de résider presque entièrement à sa campagne, où il mourut, en 1754.

Les comédies de cet auteur qui ont eu le plus

de succès, sont: le Médisant, le Philosophe marié, le Dissipateur, la Fausse Agnès et le Glorieux. A l'occasion de cette dernière pièce Voltaire lui écrivit :

Auteur solide, ingénieux,

Qui du théâtre êtes le maître,
Vous qui fîtes le Glorieux,

Il ne tiendrait qu'à vous de l'être.

« Les vrais titres de la gloire de Destouches, >> ce sont les deux comédies du Philosophe ma» rié et du Glorieux. Caractères, action, style, >> tout approche de la perfection dans la pre>> mière de ces deux pièces, qui réunit un excel>> lent comique à beaucoup de vérité. De judi>> cieux critiques ont mis cet ouvrage à côté des >> bonnes comédies de Molière. Le mariage de >> l'auteur en est le sujet. Il a peint sa femme dans » Mélite, sa belle-sœur dans Céliante, l'amant » de cette dernière, dans le rôle de Damon; dans » Lisimon, son père, et lui-même dans Ariste. » D'Alembert raconte que la belle-sœur s'em>> pressa d'assister à la première représentation, >> ne se doutant pas de l'honneur qu'elle avait » d'en être un des principaux personnages. Le » portrait était si ressemblant, qu'elle s'y re» connut avec indignation; elle fit des repro

»ches sanglants à son beau-frère, qui se dé» fendit avec l'embarras d'un coupable. Elle » craignit cependant de pousser plus loin sa co» lère, de peur de fournir le modèle d'une nou>> velle scène à un peintre trop fidèle, et par con»séquent un peu dangereux.

» Le Glorieux n'eut pas un succès moins » brillant, ni moins soutenu..... Le comique de » cette pièce est noble et vigoureux en même » temps, et le pathétiqué du dénoûment en » complète très naturellement l'effet. Il n'y a >> pas de plus beaux vers de situation que ceux que le père adresse à son fils :

J'entends; la vanité me déclare à genoux
Qu'un père infortuné n'est pas digne de vous.

>> On a regardé aussi comme un de ces traits » qui n'appartiennent qu'à des grands maîtres, » l'idée d'avoir caché, sous le personnage d'une >>femme-de-chambre, la sœur du Glorieux (1).»

Dans son opéra des Amours de Ragonde, il existe un monologue que le public a chanté très long-temps:

Jamais la nuit ne fut si noire;

Mais son obscurité favorise mes vœux,

etc.

(1) Annales poétiques.

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