Imágenes de páginas
PDF
EPUB

>> rait très étonné d'apprendre qu'il existe un poète comique bien au-dessus de l'auteur du Joueuret » du Légataire. Il est certain que la distance qu'il » y a entre ces deux talents, est immense : mais >> cette différence prouve, non pas la médiocrité » de Regnard, mais l'étonnante supériorité de >> Molière; et si l'on doit féliciter la nation d'a>> voir produit ce grand comique, on peut plain» dre Regnard d'avoir rencontré un rival si diffi» cile à égaler (1). »

« Les habitudes adoptées dans le monde, la > politesse que l'on voyait règner, le soin que » prenaient les personnes bien élevées d'éviter >> les ridicules; l'absence, ou du moins la dissimu» lation de quelques vices difformes, sont l'ou» vrage de Molière. La langue française ne lui » doit pas moins. Ce grand homme mérita donc, » sous tous les rapports, cet éloge du père Bou» hours

Tu réformas et la cour et la ville, etc.

» Regnard, qui fut le successeur de Molière, » l'égala quelquefois dans la gaîté du style. On » remarque même dans cet auteur des alliances >> de mots comiques, que l'auteur du Misan

(1) Annales poétiques.

»

» trope n'a pas connues. Mais quelle différence >> entre Molière et Regnard, pour la conception » des pièces, pour les vues morales, et pour le >> fonds des idées ! Molière ne doit jamais ses plai»santeries à un bon mot isolé; il les puise dans » son sujet; elles naissent de la situation, et leur >> effet est toujours sûr. Regnard, au contraire, >> s'abandonne à sa gaîté naturelle, et il place les » mots plaisants, sans faire une distinction tou» jours juste de leur convenanee. Il fait rire, mais >> il ne satisfait point l'esprit autant que son maî>>tre. Le caractère des deux auteurs explique >> cette différence. Molière était profond observa>>>teur, et par conséquent triste dans le monde; >> son tempérament était bilieux, son esprit iras» cible. Regnard était épicurien; il ne voyait que >> des plaisanteries à faire sur les travers de la so»ciété; il saisissait plutôt le côté bouffon que » le côté ridicule d'un personnage. De-là ses rô» les un peu chargés, et le défaut absolu de cette » énergie qu'avait Molière (1). ›

DUFRESNY.

Charles Rivière Dufresny naquit à Paris, en

(1) Essai qui précède la Grammaire de Port-Royal, nouvelle édition.

1648. Il passait pour être le petit-fils d'Henri IV, et on disait qu'il lui ressemblait. Son grand-père était fils d'une jardinière d'Anet, qu'on appelait la belle jardinière, pour laquelle il paraît certain qu'Henri IV avait eu de l'inclination. Louis XIV n'ignorait pas cette anecdote; et c'était, dit-on, l'une des causes de son penchant pour Dufresny. Il le fit l'un de ses premiers valets-de-chambre, contrôleur des jardins, et lui accorda plusieurs autres grâces; mais étant prodigue à l'excès, il se trouvait souvent obligé de recourir aux expédients. Dans le moment d'un extrême besoin, il présenta un placet au régent, qui ordonna au contrôleur-général Law de lui payer deux cent mille francs. Il mourut en 1724, à soixante

seize ans.

Il a écrit plusieurs pièces qui sont restées au théâtre, et qui méritent d'être conservées, telles, par exemple, que la Réconciliation normande, l'Esprit de Contradiction, le Mariage fait et la Coquette de Village, le Dépit, le Double Veuvage, et le Lot supposé. Voltaire a observé qu'il n'y avait pas une pièce de Dufresny qui ne renfermât des scènes très agréables.

rompu,

On prétend que Dufresny travailla quelquefois en société avec Regnard, et qu'ils se brouillèrent à l'occasion du Joueur. On disait que Du

fresny en avait, communiqué le sujet à Regnard, lequel, en ayant senti l'importance, amusa son ami, profita de ses idées, en fit cette excellente comédie, et la donna au théâtre sous son nom. Dufresny donna ensuite le Chevalier Joueur, mais la pièce ne réussit pas.

>> Un des meilleurs ouvrages de Dufresny est >> celui qui a pour titre, les Amusements sé»rieux et comiques, et qui a dû donner à Mon>> tesquieu l'idée des Lettres persånes (1). Il en >> existait une seconde partie; mais deux enfants qu'il avait eus de son premier mariage, et qui » étaient des gens dévots, l'engagèrent à la brû» ler avec quatre ou cinq comédies, parmi lesquelles étaient le Superstitieux, en cinq actes, » et les Vapeurs, en un acte. Beaucoup de » scènes détachées, de canevas de pièces, de >> réflexions écrites de sa main, eurent le même » sort (1)....»

LE SAGE.

Alain-Réné Le Sage, naquit à Ruys en Bretagne,

(1) Je crois que les auteurs des Annales poétiques se trompent ici. On a toujours dit que c'étaient les lettres de l'Espion turc, par Marana, qui avaient donné à Montesquieu l'idée des Lettres persanes.

(1) Annales poétiques.

en 1667, et mourut en 1647, à Boulogne, où il s'était retiré chez un de ses fils, qui y était chanoine.

Turcaret, et Crispin rival de son maître, deux comédies en prose de cet auteur, sont conservées au théâtre, et on les voit avec plaisir. Cependant on pouvait attendre quelque chose de plus parfait de l'auteur de Gilblas.

« On reproche, dit M. de La Harpe, à cet ou>> vrage (Turcaret) de trop mauvaises mœurs; >> mais ceux qui, par cette raison, se sont crus

dispensés de l'estimer, ont été beaucoup trop >> loin..... Il est reconnu que la comédie peut et >> doit peindre le vice, mais particulièrement sous » le côté ridicule, afin d'en égayer la peinture. >> Quand ce dessin est bien rempli, il en résulte » que le vice paraît méprisable sous tous les rap>> ports, même sous ceux de l'amour-propre. On » évite de cette manière ce qu'il pourrait avoir de » trop rebutant à la représentation, si on ne le >> montrait que dans sa laideur; et comment la » comédie pourrait-elle combattre les vices, s'il >> lui était défendu de les étaler sur la scène ?.... » Le Sage est partout un écrivain très moral. » Les mœurs de son Turcaret sont fort mauvai» ses; mais celles du Bourgeois Gentilhomme, » de Georges Dandin, du Légataire, le sont>> elles moins ? Il est vrai que Turcaret a cela de

« AnteriorContinuar »