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» de courage et de génie pour concevoir le plan » de cet ouvrage, et l'exécuter dans un temps » où le faux zèle était si puissant, et savait si >> bien prendre les couleurs de la religion qui le » désavoue? C'est dans ce temps que tu as en»trepris de porter un coup mortel à l'hypo» crisie, qui, en effet, ne s'en est pas relevée : >> c'est un vice dont l'extérieur au moins a depuis » passé de mode; mais il a été remplacé par l'hypocrisie de morale, de sensibilité, de philo» sophie, qui elle-même a fait place à l'impu» dence révolutionnaire.

» Qui est-ce qui égale Racine dans l'art de pein» dre l'amour? C'est Molière, dans la proportion » que comporte la différence absolue des deux » genres. Voyez les scènes des amants dans le Dépit amoureux, premier élan de son génie; » dans le Misantrope, entendez Alceste s'é>> crier, ah! traîtresse! quand il ne croit pas un >> mot de toutes les protestations d'amour que lui ›› fait Célimène, et que pourtant il est enchanté » qu'elle les lui fasse; dans le Tartufe, relisez » toute cette admirable scène, où deux amants » viennent de se raccommoder, et où l'un des >> deux, après la paix faite et scellée, dit pour pre>> mière parole:

Ah! ça, n'ai-je pas lieu de me plaindre de vous ?

>> Revoyez cent traits de cette force; et si vous >> avez aimé, vous tomberez aux genonx de Mo» lière, et vous répéterez ce mot de Sady: Voilà » celui qui sait comme on aime.

>> Qui est-ce qui égale Racine dans le dialogue? Qui est-ce qui a un aussi grand nombre » de ces vers pleins, de ces vers nés, qui n'ont » pas pu être autrement qu'ils ne sont, qu'on re>> tient dès qu'où les entend, et que le lecteur >> croit avoir faits? C'est encore Molière. Quelle » foule de vers charmants! quelle facilité! quelle >> énergie! surtout quel naturel! Ne cessons de le » dire : le naturel est le charme le plus sûr et le plus durable; c'est lui qui les fait aimer; c'est » le naturel qui rend les écrits des anciens si pré>>cieux, parce que, maniant un idiôme plus heu>> reux que le nôtre, ils sentaient moins le besoin » de l'esprit; c'est le naturel qui distingue le plus >> les grands écrivains, parce qu'un des caractères » du génie est de produire sans effort; c'est le » naturel qui a mis La Fontaine, qui n'inventa >> rien, à côté des génies inventeurs; enfin, c'est » le naturel qui fait que les Lettres d'une mère » à sa fille sont quelque chose, et que celles de » Balzac, de Voiture, et la déclamation et l'affec»tation en tout genre, sont, comme dit Sosie, » rien ou peu de chose.

>> Les Crispins de Regnard, les Paysans de >> Dancourt, font rire au théâtre; Dufresny, >> étincelle d'esprit dans sa tournure originale; le » Joueur et le Légataire sont d'excellentes co» médies; le Glorieux, la Metromanie et le » Méchant, ont des beautés d'un autre ordre. >> Mais rien de tout cela n'est Molière; il a un >> trait de physionomie qu'on n'attrape point : » on le retrouve jusque dans ses moindres farces, » qui ont toujours un fond de vérité et de mo» rale. Il plaît autant à la lecture qu'à la représen>>>tation; ce qui n'est arrivé qu'à Racine et à lui: >> et même, de toutes les comédies, celles de Mo» lière sont à peu près les seules que l'on aime à >> relire. Plus on connaît Molière, plus on l'aime;

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plus on étudie Molière, plus on l'admire. Après » l'avoir blâmé sur quelques articles, on finit par >>> être de son avis : c'est qu'alors on en sait da>> vantage. (1) »

Il serait inutile d'entrer dans un plus grand détail sur les différentes pièces de Molière : on sait les meilleures par cœur. Les plus remarquables sont les Précieuses ridicules, l'Ecole des Femmes, le Misantrope, Amphytrion, le Tartufe, l'Avare, les Femmes savantes, et le

(1) Cours de Littérature, par M. de La Harpe.

Malade imaginaire, dont l'objet principal est de critiquer la charlatanerie des médecins. Le Médecin malgré lui, Georges Dandin, le Bourgeois gentilhomme, et les Fourberies de Sca pin, sont d'un genre bien inférieur, et semblent n'avoir été composées que pour faire rire le parterre. Quoiqu'il y ait des ridicules fort bien exposés, on n'y rencontre point cette fine critique qui distingue les autres pièces de Molière. Mais une preuve que le goût se rafine, quoique peut-être les mœurs se corrompent, c'est qu'on trouve des scènes et des expressions, dans les comédies de Molière, qui choquent tellement la délicatesse, qu'un auteur de nos jours n'oserait pas assurément les hasarder. On a cherché a

Molière, en disant qu'il avait voulu faire quelque chose pour la multitude; car dans ses grandes pièces, dans ses chefs-d'œuvre, on ne trouve rien qui puisse blesser la modestie et la décence.

De tous les vers qu'on a faits à la louange de Molière, je ne citerai que ceux du père Bouhours.

Ornement du théâtre, incomparable acteur,
Charmant poète, illustre auteur,

C'est toi dont les plaisanteries

Ont guéri des marquis l'esprit extravagant ;

C'est toi qui par tes momeries

As réprimé l'orgueil du bourgeois arrogant.

Ta muse, en jouant l'hypocrite,
A redressé les faux dévots;

La précieuse, à tes bons mots,

A reconnu son faux mérite.

L'homme ennemi du

genre humain,

Le campagnard qui tout admire,

N'ont

pas lu tes écrits en vain :

Tous deux s'y sont instruits en ne pensant qu'à rire.

Enfin, tu réformas et la ville et la cour;

Mais quelle en fut la récompense?
Les Français rougiront un jour
De leur peu de reconnaissance.

Il leur fallut un comédien

Qui mît à les polir son art et son étude;

Mais, Molière, à ta gloire il ne manquerait rien,
Si parmi leurs défauts que tu peignis si bien,
Tu les avais repris de leur ingratitude.

Il fut nommé par l'Académie française pour occuper la première place qui viendrait à vaquer, ce qui n'eut pas lieu, à cause de sa mort inopinée. Cependant, lorsqu'en 1773 on célébra, sur le théâtre Français, la centenaire de cet illustre écrivain, l'Académie chargea d'Alembert de commander à Houdon le buste de Molière, qu'elle ne put placer qu'en 1778, dans la salle de ses séanSaurin: ces, avec cette inscription faite par

Rien ne manque à sa gloire, il manquait à la nôtre.

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