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cours qui accompagne cet ouvrage a été regardé comme supérieurement écrit. Madame Dacier, dans son traité des Causes de la Corruption du Goût, l'attaqua avec une véhémence outrée. La Motte lui répondit de la manière la plus victorieuse, dans son Essai sur la Critique, ouvrage plein de sel, de raison, d'agrément et de philosophie (1). La querelle s'échauffa, et partagea pour un temps tous les beaux-esprits. Enfin, leurs amis les réconcilièrent, à la grande satisfaction de La Motte, qui n'avait jamais respiré que la paix. Il avait une douceur inaltérable, et qui ne l'abandonna jamais dans aucune circonstance. Un jeune homme, à qui par mégarde il marcha sur le pied dans une foule, le repoussa rudement, en lui disant quelque injure. Monsieur, lui dit La Motte, vous allez étre bien fáché, car je suis aveugle. Rongé de la goutte, presqu'aveugle depuis l'âge de trente ans, accablé enfin d'infirmités, rien n'altéra un instant sa tranquillité d'ame, cette philantropie qu'il ma

(1) Dans ce combat sur les anciens et les modernes, madame Dacier prit les armes d'un homme érudit, d'un régent de college, ou d'un professeur de l'Université, tandis que La Motte se défendit en femme d'esprit, galante et élevée à la

cour.

nifesta jusqu'à son dernier moment. Il mourut le 16 décembre 1731, dans sa soixantième année, d'une fluxion de poitrine.

Fontenelle et La Motte, quoique faits en apparence pour être rivaux, furent toujours les amis les plus intimes. Fontenelle disait: C'est un beau trait dans ma vie, de n'avoir pas été jaloux de M. de La Motte. Je citerai ici leur parallèle fait par d'Alembert.. Lorsqu'ils se trouvaient, dit-il, » dans des sociétés peu faites pour eux, ils n'a» vaient ni la distraction, ni le dédain, que la >> conversation aurait pu justifier. Ils laissaient >> aux prétentions de la sottise en tout genre, la

plus libre carrière. Mais Fontenelle, toujours » peu pressé de parler, se contentait d'écouter >> ceux qui n'étaient pas dignes de l'entendre, et >> songeait seulement à leur montrer une appa>> rence d'approbation, qui les empêchait de pren>>dre son silence pour du mépris. La Motte, plus >> complaisant encore, ou plus philosophe, s'appliquait à chercher, dans les hommes les plus » sots, le côté favorable; il les mettait sur ce qu'ils >> avaient le mieux vu, sur ce qu'ils pouvaient le >> mieux entendre, et leur procurait, sans affec»tation, le plaisir d'étaler au-dehors le peu de >> savoir qu'ils possédaient. S'ils sortaient contents » d'avec Fontenelle, ils sortaient enchantés d'avec

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» La Motte: flattés que le premier leur eût trouvé » de l'esprit, mais ravis de s'en être trouvé bien >> plus avec le second. >>

De quatre tragédies de La Motte, on n'a conservé au théâtre que celle d'Inès de Castro, qui a été critiquée dans le temps, mais critiquée, comme on disait alors, tout en pleurant.

<«< Qui aurait pu deviner que le pathétique se>> rait le genre dans lequel il devait avoir le succès >> le plus brillant et le plus durable? Inès de >> Castro en eut un prodigieux; et depuis plus de >> soixante ans, c'est encore une des tragédies les plus intéressantes de la scène française. Il n'y a » peut-être jamais eu de phénomène littéraire >> aussi étonnant. Qu'avec la vivacité de sentiment >> dont la nature avait doué Corneille, Racine, >> Voltaire, ils aient produit Cinna, Andromaque >> et Mérope, personne n'aura de peine à le com>> prendre mais la sensibilité semblait avoir été >> refusée à La Motte, et voilà qu'il compose une >> tragédie qui fait fondre en larmes tout Paris, >> et dont l'effet est le même dans les provinces, » malgré la médiocrité des acteurs ; une tragédie >> dont le premier succès fut comparable à celui » du Cid. Par quel art ce nouvel enchanteur a-t-il >> donc pu remplacer, en partie, ce qui lui man

:

quait? Par l'observation et l'étude. Il est évident

qu'il avait acquis une connaissance profonde du >> cœur humain, en recherchant soigneusement » ce qui peut faire sur lui le plus d'impression. Il » avait trouvé que l'amour malheureux d'un côté, » de l'autre l'orgueil du rang vaincu par la nature, » étaient susceptibles de produire le plus grand >> attendrissement. Ce fut probablement d'après >> ces réflexions qu'il bâtit son intrigue ; et l'ex>> cellence de son discernement sut tout préparer » et tout mettre à sa place. La force des situations » de cette pièce est telle, qu'elle arrache quel>> quefois à l'auteur des traits déchirants, comme >>ce vers que dit Inès:

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Eloignez mes enfants, ils irritent mes peines.

>> Mais ce n'est presque jamais l'expression, c'est >> la situation qui s'empare, pour ainsi dire, du » spectateur, et porte son émotion au plus haut » degré. La preuve de cette vérité, c'est que ce » chef-d'œuvre de combinaison perd infiniment » de son prix à la lecture.............. Quand nous ne » sommes plus témoins de ce qui se passe sur la » scène, il faut de l'énergie, de l'éloquence, de » la chaleur, pour nous y transporter par le seul >> pouvoir de la parole. Ces qualités sont le pri» vilége du génie; et voilà pourquoi on doit bien >> se garder de comparer La Motte, qui ne les a

» jamais eues, aux grands écrivains qui s'échauf >> fent dans leurs compositions, et dont le feu se >> communique à leurs lecteurs, sans qu'ils aient >> besoin de l'illusion du théâtre (1). »

« J'ai entendu, dit Montesquieu, la première >> représentation d'Inès de Castro, de La Motte. » J'ai bien vu qu'elle n'a réussi qu'à force d'être » belle, et qu'elle a plu aux spectateurs malgré >> eux. On peut dire que la grandeur de la tragédie, le sublime et le beau y règnent partout. Il » y a un second acte qui, à mon goût, est plus >> beau que tous les autres : j'y ai trouvé un art >> souvent caché, qui ne se dévoile pas à la pre» mière représentation, et je me suis senti plus >> touché la dernière fois que la première. »

M. de La Harpe, après avoir montré les défauts de cette tragédie, admet quelques beautés. « Au » reste, dit-il, quoique le style soit si loin de ré» pondre au sujet, il y a des endroits où la situa» tion a dicté à l'auteur quelques vers naturels et >> touchants.....

» Mais la scène où le sentiment parle le plus, >> c'est celle où Inès amène ses enfants; et il était impossible qu'avec l'esprit de La Motte, il n'y

>>

(1) Annales poétiques.

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