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pas que la Médecine ne soit utile à quelques hommes, mais je dis qu'elle est funeste au genre humain.

On me dira, comme on fait sans cesse, que les fautes sont du Médecin, mais que la Médecine en elle-même est infaillible. A la bonne heure; mais qu'elle vienne donc sans le Médecin: car tant qu'ils viendront ensemble, il y aura cent fois plus à craindre des erreurs de l'artiste, qu'à espérer du secours de

l'art.

. Cet art mensonger, plus fait pour les maux de l'esprit que pour ceux du corps, n'est pas plus utile aux uns qu'aux autres: il nous guérit moins de nos maladies, qu'il ne nous en imprime l'effroi. Il recule moins la mort qu'il ne la fait sentir d'avance; il, use la vie au lieu de la prolonger; et quand il la prolongeroit, ce seroit encore au préjudice de l'espepuisqu'il nous ôte à la société par les soins qu'il nous impose, et à nos devoirs par les frayeurs qu'il nous donne. C'est la connoissance des dangers qui nous les fait craindre: celui qui se croiroit invulnérable n'auroit peur de rien. A force d'armer Achille contre le péril, le poëte lui ôte le mérite de la valeur :

ce,

tour

tout autre à sa place eût été un Achille

au même prix.

Voulez-vous trouver des hommes d'un vrai courage? cherchez-les dans les lieux où il n'y a point de Médecins, où l'on ignore les conséquences des maladies, où l'on ne songe guere à la mort. Naturellement l'homme sait souffrir constamment et meurt en paix. Ce sont les Médecins avec leurs ordannances, les philosophes avec leurs préceptes, les prêtres avec leurs exhortations, qui l'avilissent de cœur et lui font désapprendre à mourir.

La seule partie utile de la Médecine est l'hygienne. Encore l'hygienne est-elle moins une science qu'une vertu. La tempérance et le travail sont les deux vrais Médecins de l'homme: le travail aiguise son appétit, et la tempérance l'empêche d'en abuser.

Vis selon la nature, sois patient, et chasse les Médecins : tu n'éviteras pas la mort, mais tu ne la sentiras qu'une fois, tandis qu'ils la portent chaque jour dans ton imagination troublée, et que leur art mensonger, au lieu de prolonger tes jours, t'en ôte la jouissance, Je demanderai toujours quel vrai bien cet art a fait I. Partie.

L

aux hommes? Quelques-uns de ceux qu'il guérit mourroient, il est vrai; mais des millions qu'il tue resteroient en vic. Homme sensé, ne mets pas à cette loterie où trop de chances sont contre toi. Souffre, meurs ou guéris; mais sur-tout vis jusqu'à ta derniere heure.

J

MORT.

SI nous étions immortels, nous serions

des êtres bien misérables. Il est dur de mourir; mais il est doux d'espérer qu'on ne vivra pas toujours, et qu'une meilleure vie finira les peines de celle-ci.

Si l'on nous offroit l'immortalité sur la terre, qui est-ce qui voudroit accepter ce triste présent? Quelle ressource, quel espoir, quelle consolation nous resteroitil contre les rigueurs du sort et contre les injustices des hommes ? L'ignorant qui ne prévoit rien, sent peu le prix de la vie et craint peu de la perdre; l'homme éclairé voit des biens d'un plus grand prix qu'il préfere à celui-là. Il n'y a que le demi-savoir et la fausse sagesse qui, prolongeant nos vues jusqu'à la mort, et pas au-delà, en font pour nous le pire

des maux. La nécessité de mourir n'est 123 à l'homme sage qu'une raison pour supporter les peines de la vie. Si l'on n'étoit pas sûr de la perdre une fois, elle coûteroit trop à conserver.

On croit que l'homme a un vif amour pour sa conservation, et cela est vrai : mais on ne voit pas que cet amour, tel que nous le sentons, est en grande par tie l'ouvrage des hommes. Naturellement l'homme ne s'inquiete pour se conserver, qu'autant que les moyens sont en son pouvoir; sitôt que ces moyens lui échappent, il se tranquillise et meurt sans se tourmenter inutilement. La pres miere loi de la résignation nous vient de la nature. Les sauvages, ainsi que les bêtes, se débattent fort peu contre la mort, et l'endurent presque sans se plaindre. Cette loi détruite, il s'en forme une autre qui vient de la raison; mais peu savent l'en tirer, et cette résignation factice n'est jamais aussi pleine et entiere que la premiere.

Vivre libre et peu tenir aux choses humaines, est le meilleur moyen d'apprendre à mourir.

Quand on a gâté sa constitution par une vie déréglée, on la veut rétablir par

L &

des remedes; au mal qu'on sent on ajoute celui qu'on craint; la prévoyance de la mort la rend horrible et l'accélere; plus on la veut fuir, plus on la sent, et l'on meurt de frayeur durant toute sa vie, en des maux murmurant contre la nature, qu'on s'est fait en l'offensant.

QUAND

ÉTUDE.

il

UAND on a une fois l'entendement Ouvert par l'habitude de réfléchir, vaut toujours mieux trouver de soi-même les choses qu'on trouveroit dans les livres: c'est le vrai secret de les bien mouler à sa tête et de se les approprier.

La grande erreur de ceux qui étudient, est de se fier trop à leurs livres et de ne pas tirer assez de leur fond sans songer que, de tous les sophistes, notre propre raison est presque toujours celui qui nous abuse le moins. Sitôt qu'on veut rentrer en soi-même, chacun sent ce qui est bien, chacun discerne ce qui est beau; nous n'avons pas besoin qu'on nous apprenne à connoître ni l'un ni l'autre, et l'on ne s'en impose là-des◄ sus, qu'autant qu'on s'en veut imposer.

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