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Deshoulières, et on est fàché de dire qu'on accusa madame de Sévigné même d'être du nombre. Mais le chef de la cabale étoit le duc

général; et j'en fus si satisfait en mon particulier, que je vis dès-lors l'effet qu'elle alloit produire. Au sortir de la comédie, prenant M. Chapelain par la main, Monsieur, lui dis-je, nous approuvions vous et moi toutes les sottises qui viennent d'être critiquées si finement et avec tant de bon sens; mais croyez-moi, pour me servir de ce que dit Saint-Remy à Clovis, il nous faudra brûler ce que nous avons adoré, et adorer ce que nous avons brûlé. Cela arriva comme je l'avois prédit; et de cette première représentation, l'on revint du galimatias et du style forcé. »

Julie d'Angennes, fille de la marquise de Rambouillet, étoit l'objet des hommages de tous les beaux-esprits. Le célèbre évêque de Grasse, Godeau, homme d'une trèspetite taille, se faisoit honneur d'être appelé son nain. C'est pour elle qu'on fit la fameuse guirlande de Julie, composée d'un grand nombre de fleurs, sur chacune desquelles on fit des vers contenant des louanges pour celle à qui elle étoit dédiée. Voici les vers de Desmarels sur la violette:

Modeste en ma couleur, modeste en mon séjour,
Franche d'ambition, je me cache sous l'herbe;
Mais si sur votre front je puis me voir un jour,
La plus humble des fleurs sera la plus superbe.

Elle épousa le duc de Montausier, et fut gouvernante des enfans de France; son mari, homme renommé pour son inflexible probité, fut gouverneur du grand dauphin.

de Nevers, neveu du cardinal Mazarin. Par l'influence de toutes ces personnes réunies, le public eut au commencement l'air d'être indécis sur la préférence à donner entre les deux Phédres. Les ennemis de Racine portèrent si loin leur vengeance, que lorsque Phédre fut imprimée, ils donnèrent une édition où ils substituèrent, aux vers les plus beaux, des vers plats et ridicules. La véritable Phédre cependant enfin triompha glorieusement.

Ces deux Phédres sont d'après Euripide et Sénèque, qui ont laissé chacun une tragédie sur le même sujet, mais intitulée Hippolyte.

M. de La Harpe observe que Racine a su donner à Phédre en même temps plus de passion et plus de remords que ces deux anciens. Qu'on en juge, dit-il, par ce morceau qui appartient tout entier à l'auteur français, parce

On se rappelle ce qu'il dit au dauphin, lorsque ses fonctions de gouverneur vinrent à cesser : « Monseigneur, si >> vous êtes honnête homme, vous m'aimerez; si vous ne » l'êtes pas, vous me haïrez, et je m'en consolerai. » Un jour le duc de Montausier, voyant jouer au mail M. le dauphin avec quelques jeunes gens de sa cour, il s'apperçut que le marquis de Créquy, qui étoit très-adroit, n'avoit pas atteint le but, pour laisser l'avantage à M. le dauphin; le duc de Montausier interpella le marquis en lui disant : Ah! petit corrompu.

qu'il est le seul qui ait supposé que Phédre avoit fait d'abord exiler Hippolyte pour l'éloide sa vue:

gner

Eh bien! connois donc Phédre et toute sa fureur :
J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime,
Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même,
Ni
que du fol amour qui trouble ma raison,

Ma lâche complaisance ait nourri le poison.

Objet infortuné des vengeances célestes,

Je m'abhorre encor plus que tu ne me détestes.

Les Dieux m'en sont témoins, ces Dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang;
Ces Dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le cœur d'une foible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé :
C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé.
J'ai voulu te paroître odieuse, inhumaine;
Pour mieux te résister, j'ai recherché ta haine.
De quoi m'ont profité mes inutiles soins?
Tu me haïssois plus, je ne t'aimois pas moins.
Tes malheurs te prêtoient encor de nouveaux charmes.
J'ai langui, j'ai séché dans les feux, dans les larmes :
Il suffit de tes yeux pour t'en persuader,
Si tes yeux un moment pouvoient me regarder.

Comme la jalousie est bien peinte dans cet autre morceau!

Ah! douleur non encore éprouvée!

A quel nouveau tourment je me suis réservée!

Tout ce que j'ai souffert, mes craintes, mes transports,
La fureur de mes feux, l'horreur de mes remords,
Et d'un refus cruel l'insupportable injure,

N'étoit qu'un foible essai du tourment que j'endure.
Ils s'aiment! par quel charme ont-ils trompé mes yeux?
Comment se sont-ils vus?depuis quand?dans quels lieux?
Tu le savois. Pourquoi me laissois-tu séduire?
De leur furtive ardeur ne pouvois-tu m'instruire?
Les a-t-on vus souvent se parler, se chercher?
Dans le fond des forêts alloient-ils se cacher?
Hélas! ils se voyoient avec pleine licence :
Le Ciel de leurs soupirs approuvoit l'innocence.
Ils suivoient, sans remords, leur penchant amoureux;
Tous les jours se levoient clairs et sereins pour eux.
Et moi, triste rebut de la nature entière,

Je me cachois au jour, je fuyois la lumière.
La mort est le seul dieu que j'osois implorer;
J'attendois le moment où j'allois expirer.
Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée,
Encor, dans mon malheur, de trop près observée,
Je n'osois dans mes pleurs me noyer à loisir :
Je goûtois en tremblant ce funeste plaisir ;
Et, sous un front serein, déguisant mes alarmes,
Il falloit bien souvent me priver de mes larmes.

M. de La Harpe, après avoir rapporté les vers que je citerai ci-après, dit : « Je ne con»nois rien, dans aucune langue, au-dessus » de ce morceau; il étincelle de traits de la >>première force. Quelle foule de sentimens

» et d'images! Quelle profonde douleur dans >> les uns! quelle pompe à-la-fois magnifique » et effrayante dans les autres! Et quel coup » de l'art, quel bonheur du génie, d'avoir pu >> les réunir! L'imagination de Phédre, con>> duite par celle du poète, embrasse le ciel, » la terre et les enfers. La terre lui présente >> tous ses crimes, et ceux de sa famille; le >> ciel, des ayeux qui la font rougir; les enfers, » des juges qui la menacent : les enfers, qui >> attendent les autres criminels, repoussent la >> malheureuse Phédre. Et quelle inimitable >> harmonie dans les vers! Quelle énergie de >> diction! Je me suis souvent rappelé qu'un >>> jour, dans une conversation sur Racine, Vol» taire, après avoir déclamé ce morceau avec l'enthousiasme que lui inspiroient les beaux » vers, s'écria: Non, je ne suis rien auprès de » cet homme-là. Ce n'est pas qu'il faille voir >> dans cette exclamation presque involontaire » un aveu d'infériorité ; c'étoit l'hommage d'un grand génie, dont la sensibilité étoit en pro>> portion de sa force, et à qui l'admiration » faisoit tout oublier, jusqu'au sentiment de >> l'amour-propre.... »

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Misérable! et je vis, et je soutiens la vue
De ce sacré soleil dont je suis descendue!

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