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L'amant le plus bruyant n'est pas le plus aimé. L'Amour vole à ce dieu par lui-même enflammé. Éole ! écoute-moi, lui dit-il. Égérie

Du sensible Dolon dès long-temps est chérie ;

Son père la destine aux vœux d'un autre amant :
Seconde mes désirs pour ce couple charmant.
Que l'île d'Égérie, au gré de la tempête,

Vers les champs de Dolon vogue, aborde, et s'arrête;
Qu'alors tous deux unis ils se donnent leur foi.
Je le jure, à ce prix Doris vivra pour toi.

Mais ne l'entraîne point dans ta cour turbulente,
Permets-lui d'habiter dans sa grotte charmante;
Écarte de ses bords l'aquilon furieux,

Et que les seuls zéphirs soupirent dans ces lieux!
L'Amour le veut ainsi ! Le dieu parle et s'envole.
L'espoir d'un prix si doux flatte le cœur d'Éole.
Pour hâter un bonheur de qui dépend le sien,
Il veut de ces amans former l'heureux lien.
Un jour (l'île ce jour ne les vit point ensemble ),
Soudain l'air a mugi, l'onde croît, l'île tremble,
Les flots tumultueux rugissent à l'entour: 20

Rien n'égale un orage excité par l'amour.
L'île cède, Égérie est en pleurs sur la rive.
Elle rappelle envain son île fugitive,

Hélas! et son amour, injuste un seul moment,
Craint, en perdant sa dot, de perdre son amant.
Fille aimable, bannis une crainte importune!
L'aveugle amour est cher à l'aveugle fortune,
Et tous deux de ton île ils dirigent le cours.
Le terrain vagabond, après de longs détours,
Se rapproche des lieux où, seul sur le rivage,
Dolon, triste et pensif, entend gronder l'orage.
Il regarde, il s'étonne, il observe long-temps
Cette île voyageuse et ces arbres flottans,
Quand soudain à ses yeux, quelle surprise extrême!
La terre, en approchant, montre l'île qu'il aime.
Il tremble: il craint pour elle une vague, un écueil;
Il la suit sur les eaux, il la conduit de l'œil.
L'île long-temps encor flotte au gré de l'orage;
La

vague enfin la pousse et l'applique au rivage. Dolon court, Dolon vole: il parcourt ces beaux lieux

Si chéris de son cœur, si connus à ses yeux;

Il cherche le bosquet, il cherche la cabane,

Où leurs discrets amours fuyoient un œil profane.

Les flots impétueux auront-ils respecté

Les fleurs qu'elle arrosoit, l'arbre qu'elle a planté ? Trouvera-t-il encor sur l'écorce légère

De leurs chiffres unis le tendre caractère?

Tout l'émeut, tout occupe et son ame et ses yeux:
D'un cœur moins effrayé, d'un œil moins curieux,
Un tendre ami parcourt l'air, les traits, le visage
D'un ami
que les flots jetèrent au rivage.

A peine cependant le calme a reparu,
Dolon revole aux lieux d'où l'île a disparu.

Il suit sa course, il vogue; il arrive à la plage
Où la belle Égérie, en pleurs sur le rivage,
Cherchoit encor de l'œil, plus belle en sa douleur,
L'île qui fut sa dot, et qui fait son malheur.
Il embrasse en pleurant son vénérable père ;
Il tombe en suppliant aux genoux de sa mère :
Le destin, leur dit-il, vous a ravi vos biens,
Mais en vous les ôtant il vous donna les miens;
Ils sont à vous, venez. Il dit, l'onde les mène
Au rivage où leur île est jointe à son domaine.
Le changement d'abord leur déguise les lieux ;
Mais d'Égérie à peine ils ont frappé les yeux,
Ah! la voilà, dit-elle. Oui, la voilà, s'écrie
Le sensible Dolon, ton île tant chérie !

Ton malheur fut cruel, mon bonheur est plus grand.
L'orage te l'ôta, mon amour te la rend.

Vers ce rivage ami les dieux l'ont amenée :

Qu'ainsi puisse nous joindre un heureux hyménée !

Il dit; la mère pleure et le père consent,
Et la belle Égérie accepte en rougissant.
Et cependant il veut que cette île si chère
Reprenne sa parure et sa forme première.
Un pont joint à ses bords ce fortuné séjour,
Sacré par le malheur, plus sacré par l'amour;
Mais son art l'affermit, et l'onde mugissante
Vient briser sur ses bords sa colère impuissante.
Ainsi cette île errante eut un frein dans les flots,
Le bonheur un asile, et l'amour sa Délos.

Fin du second Chant.

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Qu

UE j'aime le mortel, noble dans ses penchans,
Qui cultive à la fois son esprit et ses champs!

Lui seul jouit de tout. Dans sa triste ignorance
Le vulgaire voit tout avec indifférence :
Des desseins du grand Être atteignant la hauteur,
Il ne sait point monter de l'ouvrage à l'auteur.
Non, ce n'est pas pour lui qu'en ses tableaux si vastes
Le grand peintre forma d'harmonieux contrastes.
Il ne sait pas comment, dans ses secrets canaux,
De la racine au tronc, du tronc jusqu'aux rameaux,
Des rameaux au feuillage accourt la sève errante;
Comment naît des cristaux la masse transparente,
L'union, les reflets et le jeu des couleurs.
Étranger à ses bois, étranger à ses fleurs,
Il ne sait point leurs noms, leurs vertus, leur famille.
D'une grossière main il prend dans la charmille
Ses fils au rossignol, au printemps ses concerts.

Le

sage seul, instruit des lois de l'univers,

Sait goûter dans les champs une volupté pure:

C'est pour l'ami des arts qu'existe la nature.

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Vous donc, quand des travaux ou des soins importans Du bonheur domestique ont rempli les instans,

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