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Ces fœtus monstrueux, ces corps à double tête,
La momie à la mort disputant sa conquête,
Et ces os de géant, et l'avorton hideux
Que l'être et le néant réclamèrent tous deux. 51
Mais si quelqu'oiseau cher, un chien, ami fidèle,
A distrait vos chagrins, vous a marqué son zèle,
Au lieu de lui donner ces honneurs du cercueil
Qui dégradent la tombe et profanent le deuil,
Faites-en dans ces lieux la simple apothéose:
Que dans votre élysée avec grâce il repose!
C'est là qu'on veut le voir; c'est là que
tu vivrois,
O toi dont Lafontaine eût vanté les attraits,
O ma chère Raton, qui, rare en ton espèce,
Eus la grâce du chat et du chien la tendresse ;
Qui, fière avec douceur et fine avec bonté,
Ignoras l'égoïsme à ta race imputé. I,
Là je voudrois te voir, telle que je t'ai vue,
De ta molle fourrure élégamment vêtue,

Affectant l'air distrait, jouant l'air endormi,
Épier

une mouche, ou le rat ennemi,

Si funeste aux auteurs, dont la dent téméraire
Ronge indifféremment Dubartas 52 ou Voltaire;
Ou telle que tu viens, minaudant avec art,
De mon sobre dîner solliciter ta part;

Ou bien, le dos en voûte et la queue ondoyante,
Offrir ta douce hermine à ma main caressante,
Ou déranger gaîment par mille bonds divers
Et la plume et la main qui t'adressa ces vers.

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Our, les riches aspects et des champs et de l'onde

D'intéressans tableaux sont la source féconde:

Oui, toujours je revois avec un plaisir pur
Dans l'azur de ces lacs briller ce ciel d'azur,
Ces fleuves s'épancher en nappes transparentes,
Ces gazons serpenter le long des eaux errantes,
Se noircir ces forêts et jaunir les moissons,
En de rians bassins s'enfoncer ces vallons,
Les monts porter les cieux sur leurs têtes hautaines
Et s'étendre à leurs pieds l'immensité des plaines;
Tandis que,
colorant tous ces tableaux divers,
Le soleil marche en pompe autour de l'univers.
Heureux qui, contemplant cette scène imposante,
Jouit de ses beautés ! plus heureux qui les chante!
Pour lui tout s'embellit; il rassemble à son choix
Les agrémens épars et des champs et des bois,
Et dans ses vers brillans, rivaux de la nature,
Ainsi que des objets, jouit de leur peinture.

Mais loin ces écrivains dont le vers ennuyeux
Nous dit ce que cent fois on a dit encor mieux !
Insipides rimeurs ! n'avez-vous pas encore
Épuisé, dites-moi, tous les parfums de Flore?

Entendrai-je toujours les bonds de vos troupeaux ?
Faut-il toujours dormir au bruit de vos ruisseaux ?
Zéphir n'est-il point las de caresser la rose,

De ses jeunes boutons depuis long-temps éclose?
Et l'écho de vos vers ne peut-il une fois

Laisser dormir en paix les échos de nos bois ?
Peut-on être si pauvre, en chantant la nature ?
Oh! que, plus varié, moins vague en sa peinture,
Horace nous décrit en vers délicieux

Ce pâle peuplier, ce pin audacieux,

Ensemble mariant leurs rameaux frais et sombres,
Et prêtant au buveur l'hospice de leurs ombres ;
Tandis qu'un clair ruisseau, se hâtant dans son cours,
Fuit, roule et de son lit abrège les détours ! 2
La nature en ses vers semble toujours nouvelle,
Et vos vers, en naissant, sont déjà vieux comme elle.
Ah! c'est que, pour les peindre, il faut aimer les champs!
Mais souvent, insensible à leurs charmes touchans,

Des rimeurs citadins la muse peu champêtre

Les peint sans les aimer, les peint sans les connoître;
A peine ils ont goûté la paix de leur séjour,

La fraîcheur d'un beau soir, ou l'aube d'un beau jour.
Aussi lisez leurs vers; on connoît à leur style

Dans ces peintres des champs les amis de la ville.

Voyez-les prodiguer, toujours riches de mots,
L'émeraude des prés et le cristal des flots.
L'Aurore, sans briller sur un trône d'opale,
Ne peut point éclairer la rive orientale;
Le pourpre et le saphir forment ses vêtemens.
Répand-elle des fleurs ? ce sont des diamans.
Ils vont puiser à Tyr, vont chercher au Potose,
Le teint de la jonquille et celui de la rose.
Ainsi, d'or et d'argent, de perles, de rubis,
De la simple nature ils chargent les habits,
Et, croyant l'embellir, leur main la défigure.

Puisque la poësie est sœur de la peinture,
Écoutez de Zeuxis ces mots trop peu connus.
Un artiste novice osoit peindre Vénus.

Ce n'étoient point ses traits et ses grâces touchantes,
D'un buste harmonieux les rondeurs élégantes,
Ces contours d'un beau sein, ces bras voluptueux;
Ce n'étoit point Vénus: son pinceau fastueux
Avoit prodigué l'or, l'argent, les pierreries,
Et Cypris se perdoit sous d'amples draperies.
Que fais-tu, malheureux ? dit Zeuxis irrité;
Tu nous peins la richesse, et non pas la beauté !
Rimeur sans goût, ce mot vous regarde vous-même:

Je le répète, il faut peindre ce que l'on aime.

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