Imágenes de páginas
PDF
EPUB

de m'égarer d'erreurs en erreurs, à l'aide d'un entendement sans règle, et d'aue raison sans principe.

[ocr errors]

Graces au ciel, nous voilà délivrés de tout cet effrayant appareil de philosophie; nous pouvons être hommes sans être savans; dispensés de consumer notre vie à l'étude de la morale, nous avons à moindres frais un guide plus assuré dans ce dédale immense des opinions humaines. Mais ce n'est pas assez que ce guide existe, il faut savoir le reconnoître et le suivre. S'il parle à tous les cœurs, pourquoi donc y en a-t-il si peu qui l'entendent? Eh! c'est qu'il nous parle la langue de la nature que tout nous a fait oublier. La conscience est timide, elle aime la retraite et la paix ; le monde et le bruit l'épouvantent; les préjugés dont on la fait naître sont ses plus cruels ennemis, elle fuit ou se tait devant eux; leur voix bruyante étouffe la sienne, et l'empêche de se faire entendre; le fanatisme ose la contrefaire, et dicter le crime en son nom. Elle se rebute enfin à force d'être éconduite; elle ne nous parle plus, elle ne nous répond plus; et, après de si longs mépris pour elle; il en coûte autant de la rappeler qu'i en coûta de la bannir.

Combien de fois je me suis lassé, dans ines recherches, de la froideur que je sentois en moi! Combien de fois la tristesse et l'ennui, versant leur poison sur mes premières méditations, me les rendirent insuportables! Mon cœur, aride, ne donnoit qu'un zèle languissaut et tiède, à l'amour de la vérité Je me disois : pourquoi me tourmenter à chercher ce qui n'est pas ? Le bien moral n'est qu'une chimère ; il n'y a rien de bon que les plaisirs des sens. O! quand une fois on a perdu le goût des plaisirs de l'ame, qu'il est difficile de le reprendre! Qu'il est plus difficile encore de le prendre, quand on ne l'a jamais eu! S'il existoit un homme assez misérable pour n'avoir rien fait, en toute sa vie, dont le souvenir le rendit content de luimême, et bien aise d'avoir vécu, cet homme seroit incapable de jamais se connoître; et, faute de sentir quelle bonté convient à sa nature, il resteroit méchant par force, et seroit éternellement malheureux. Mais croyez-vous qu'il y ait, sur la terre entière, un seul homme assez dépravé, pour n'avoir jamais livré son cœur

[ocr errors]

la tentation de bien faire? Cette tentation est si naturelle et si douce, qu'il est impossible de lui résister toujours; et le sou

[ocr errors]

venir du plaisir qu'elle a produit une fois, suffit pour la rappeler sans cesse. Malheureusement elle est, d'abord, pénible à satisfaire; on a mille raisons pour se refuser au penchant de son cœur ; la fausse prudence le resserre dans les bornes du moi humain: il faut mille efforts de courage, pour oser les franchir. Se plaire à bien faire, est le prix d'avoir bien fait, et ce prix ne s'obtient qu'après l'avoir mérité. Rien n'est plus aimable que la vertu, mais il en faut jouir pour la trouver telle. semblable Quand on la veut embrasser, au Protée de la fable, elle prend, d'abord, mille fornies effrayantes, et ne se montre, enfin, sous la sienne, qu'à ceux qui n'ont point lâché prise.

Combattu, sans cesse, par mes sentimens naturels, qui parloient pour l'intérêt commun, et par ma raison qui rapportoit tout à moi, j'aurois flotté, toute ma vie, dans cette continuelle alternative, faisant le mal, aimant le bien, et toujours contraire à moi-même, si de nouvelles lumières n'eussent éclairé mon cœur ; si la vérité, qui fixa mes opinions, n'eût encore assuré ma conduite et ne m'eût mis d'accord avec moi. On a beau vouloir établir la vertu par la raison seule, quelle

base peut-on lui donner? La vertu, disent-ils, est l'amour de l'ordre mais cet amour peut-il donc et doit-il l'emporter, en moi, sur celui de mon bienétre? Qu'ils me donnent une raison claire et suffisante, pour le préférer. Dans le fond, leur prétendu principe est un pur jeu de mots; car je dis aussi, moi, que le vice est l'amour de l'ordre, pris dans un seus différent. Il y a quelque ordre moral, partout où il y a sentiment et intelligence. La différence est, que le bon s'ordonne par rapport au tout, et que le méchant ordonne le tout par rapport à lui. Celui-ci se fait le centre de toutes choses, l'autre, mesure son rayon et se tient à la circonférence. Alors il est ordonné, par rapport au centre commun, qui est Dieu, et par rapport à tous les cercles concentriques, qui sont les créatures Si la divinité n'est pas, il n'y a que le méchant qui raisonne, le bon n'est qu'un insensé.

O mon enfant! puissiez-vous sentir, un jour, de quel poids on est soulagé, quand, après avoir épuisé la vanité des opinions humaines et goûté l'amertume des passions, on trouve, enfin, si près de soi, la route de la sagesse, le prix des travaux de cette vie, et la source du hon

heur dont on a désespéré. Tous les devoirs de la loi naturelle, presque effacés de mon coeur, par l'injustice des hommes, s'y retracent au nom de l'éternelle justice, qui me les impose et qui me les voit remplir. Je ne seus plus en moi que l'ouvrage et l'instrument du grand Être qui veut le bien, qui le fait, qui fera le mien, par le concours de mes volontés aux siennes, et par le bon usage de ma liberté : j'acquiesce à l'ordre qu'il établit, sûr de jouir moi-même, un jour, de cet ordre et d'y trouver ma félicité; car, quelle félicité plus douce, que de se sentir ordonné dans un système où tout est bien? En proie à la douleur, je la supporte avec patience, en songeant qu'elle est passagère et qu'elle vient d'un corps qui n'est point à moi. Si je fais une bonne action sans témoin, je sais qu'elle est vue, et je prends acte, pour l'autre vie, de ma conduite en celle-ci. En souffrant une injustice, je me dis: L'être juste, qui régit tout, saura bien m'en dédommager; les besoins de mon corps, les misères de ma vie, me rendent l'idée de la mort plus supportable. Ce seront autant de liens de moins à rompre, quand il faudra tout quitter.

Pourquoi mon ame est-elle soumise à

« AnteriorContinuar »