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mens que j'en porte, plus je suis sûr d'approcher de la vérité : ainsi ma règle de me livrer au sentiment plus qu'à la raison, est confirmée par la raison même.

M'étant, pour ainsi dire, assuré de moimême, je commence à regarder hors de moi, et je me considère avec une sorte de frémissement, jeté, perdu dans ce vaste univers, et comme noyé dans l'immensité des êtres, sans rien savoir de ce qu'ils sont, ni entr'eux, ni par rapport à moi. Je les étudie, je les observe, et le premier objet qui se présente à moi pour les comparer,

c'est moi-même.

Tout ce que j'aperçois par les sens est matière, et je déduis toutes les propriétés essentielles de la matière des qualités sensibles qui me la font apercevoir, et qui en sont inséparables. Je la vois tantôt en mouvement et tantôt en repos (1), d'où j'in

(1) Ce repos n'est, si l'on veut, que relatif; mais puisque nous observons du plus et du moins dans le mouvement, nous concevons très-clairement un des deux termes extrêmes qui est le repos, et nous le concevous si bien, que nous sommes enclins même à prendre pour absolu le repos qui n'est que relatif. Or, il n'est pas vrai le mouvement soit de l'essence de la matière, si elle peut être conçue en repos.

que

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fère que, ni le repos, ni le mouvement ne lui sont essentiels; mais le mouvement étant une action, est l'effet d'une cause dont le repos n'est que l'absence. Quand donc rien n'agit sur la matière, elle ne se meut point, et par cela même qu'elle est indifférente au repos et au mouvement, son état naturel est d'être en repos.

J'aperçois dans les corps deux sortes de mouvement, savoir; mouvement communiqué, et mouvement spontané ou volontaire. Dans le premier, la cause motrice est étrangère au corps mû; et dans le second elle est en lui-même. Je ne conclurai pas de-là que le mouvement d'une montre, par exemple, est spontané ; car si rien d'étranger au ressort n'agissoit sur lui, il ne tendroit point à se redresser, et ne tireroit pas la chaîne. Par la même raison je n'accorderai point, non plus, la spontanéité aux fluides, ni au feu même qui fait leur fluidité (1).

(1) Les chimistes regardent le phlogistique, ou l'élément du feu, comme épars, immobile et stagnant dans les mixtes dont il fait partie, jusqu'à ce que des causes étrangères le dégagent, le réunissent, le mettent en mouvement et le changent en feu.

Vous me demanderez si les mouvemens des animaux sont spontanés; je vous dirai que je n'en sais rien, mais que l'analogie est pour l'affirmative. Vous me demanderez encore comment je sais donc qu'il y a des mouvemens spontanés; je vous dirai que je le sais parce que je le sens. Je veux mouvoir mon bras et je le meus, sans que ce mouvement ait d'autre cause immédiate que ma volonté. C'est en vain qu'on voudroit raisonner pour détruire en moi ce sentiment, il est plus fort que toute évidence; autant vaudroit me prouver que je n'existe pas. S'il n'y avoit aucune spontanéité dans les actions des hommes, ni dans rien de ce qui se fait sur la terre, on n'en seroit que plus embarrassé à imaginer la première cause de tout mouvement. Pour moi, je me sens tellement persuadé que l'état naturel de la matière est d'être en repos, et qu'elle n'a par elle-même aucune force pour agir, qu'en voyant un corps en mouvement, je juge aussitôt, ou que c'est un corps animé, ou que ce mouvement lui a été communiqué. Mon esprit refuse tout acquiescement à l'idée de la matière non organisée, se mouvant d'ellemême, ou produisant quelque action.

Cependant, cet univers visible est ma

tière ; matière éparse et morte (1), qui n'a rien dans son tout de l'union, de l'orga nisation, du sentiment commun des parties d'un corps animé ; puisqu'il est certain que nous qui sommes parties ne nous senous nullement dans le tout. Ce même univers est en mouvement; et dans ses mouvemens réglés, uniformes, assujétis à des lois constantes, il n'a rien de cette liberté qui paroît dans les mouvemens spontanés de l'homme et des animaux. Le monde n'est donc pas un grand animal qui se meuve de lui-même; il y a donc de ses mouvemens quelque cause étrangère à lui, laquelle je n'aperçois pas; mais la persuasion intérieure me rend cette cause tellement sensible, que je ne puis voir rouler le soleil, sans imaginer une force qui le pousse, ou que si la terre tourne, je crois sentir une main qui la fait tourner.

S'il faut admettre des lois générales dont

(1) J'ai fait tous mes efforts pour concevoir une molécule vivante, sans pouvoir en venir à bout. L'idée de la matière, sentant sans avoir des sens, me paroît inintelligible et contradictoire. Pour adopter ou rejeter celte idée, il faudroit commencer par la comprendre, et j'avoue que je n'ai pas ce bonheur-là.

je n'aperçois point les rapports essentiels avec la matière, de quoi serai-je avancé? Ces lois n'étant point des êtres réels, des substances, ont donc quelqu'autre fondement qui m'est inconnu. L'expérience et l'observation nous ont fait connoître les lois du mouvement; ces lois déterminent les effets sans montrer les causes; elles ne suffisent point pour expliquer le systême du monde et la marche de l'univers. Descartes avec des dez formoit le ciel et la terre, mais il ne put donner le premier branle à ces dez, ni mettre en jeu sa force centrifuge qu'à l'aide d'un mouvement de rotation. Newton a trouvé la loi de l'attraction; mais l'attraction seule réduiroit bientôt l'univers en une masse immobile: à cette loi, il a falu joindre une force projectile, pour faire décrire des courbes aux corps célestes. Que Descartes nous dise quelle loi physique a fait tourner ses tourbillons; que Newton nous moutre la main qui lança les planètes sur la tangente de leurs orbites.

Les premières causes du mouvement ne sont point dans la matière; elle reçoit le mouvement et le communique, mais elle ne le produit pas. Plus j'observe l'action et réaction des forces de la nature, agissant

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