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>> avez pas moins, par votre décision sur les gens » de couleur, alarmé le commerce et exposé nos >> colonies.

» Croyez, Messieurs, qu'aucune de ces obser»vations n'échappe aux amis de la liberté : ils » vous redemandent le dépôt de l'opinion publi» que, de la raison publique, dont vous n'êtes » que les organes, et qui n'ont plus aujourd'hui » de caractère. L'Europe étonnée vous regarde, » l'Europe qui, peut-être ébranlée jusque dans ses fondements par la propagation de vos prin>>cipes, s'indigne de leur exagération.

» Le silence de ses princes peut être celui de >>> l'effroi; mais n'aspirez pas, Messieurs, au fu>> neste honneur de vous rendre redoutables par >> des innovations immodérées, aussi dangereuses >> pour vous-mêmes que pour vos voisins. Ou» vrez encore une fois les annales du monde; » rappelez à votre aide la sagesse des siècles, et >> voyez combien d'empires ont péri par l'anar>> chie. Il est temps de faire cesser celle qui nous » désole, d'arrêter les vengeances, les séditions, » les émeutes, de nous rendre enfin la paix et la >> confiance.

>> Pour arriver à ce but salutaire vous n'avez >> qu'un moyen, et ce moyen serait, en révisant >> vos décrets, de réunir et de renforcer des pou

» voirs affaiblis par leur dispersion, de confier >> au roi toute la force nécessaire pour assurer la >> puissance des lois, de veiller surtout à la li» berté des assemblées primaires, dont les fac>>tions ont éloigné tous les citoyens vertueux » et sages.

» Et ne croyez pas, Messieurs, que le réta>>blissement du pouvoir exécutif puisse être l'ou» vrage de vos successeurs. Non, ils arriveront » avec moins de force que vous n'en aviez ; ils >> auront à conquérir cette opinion populaire » >> dont vous avez disposé. Vous pouvez ainsi re» faire ce que vous avez détruit ou laissé dé

>> truire.

» Vous avez posé les bases de la liberté de >> toute constitution raisonnable, en assurant au >> peuple le droit de faire ses lois et de statuer » sur l'impôt. L'anarchie engloutira même ces >> droits éminents, si vous ne les mettez sous la » garde d'un gouvernement actif et vigoureux; >> et le despotisme nous attend, si vous repoussez >> toujours la protection tutélaire de l'autorité » royale.

» J'ai recueilli mes forces, Messieurs, pour » vous parler la langue austère de la vérité; par>> donnez à mon zèle, à mon amour pour

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la pa>> trie, ce que mes remontrances peuvent avoir

» de trop libre, et croyez à mes vœux ardents » pour votre gloire, autant qu'à mon profond >> respect. >>

MABLY.

Gabriel Bonnot de Mably, d'une famille noble du Dauphiné, naquit à Grenoble le 14 mars 1709, et mourut à Paris le 23 avril 1785.

Après avoir fait ses études chez les jésuites, à Lyon, il fut envoyé à Paris; et par les conseils de son parent, le cardinal de Tencin, il entra au séminaire de Saint-Sulpice. Mais quoiqu'il conservât le petit collet, il quitta bientôt l'état ecclésiastique, et se livra entièrement aux lettres. Madame de Tencin, sœur du cardinal, réunissait alors chez elle les hommes de lettres les plus distingués. Mably fut admis dans sa société, non seulement comme parent, mais comme un jeune homme qui avait déjà acquis de la réputation dans le monde littéraire.

Madame de Tencin, avec sa pénétration ordinaire, jugea que son parent pourraît être d'une grande utilité à son frère, qui commençait à entrer daus la carrière du ministère, et que sa sœur savait fort peu versé dans les affaires politiques. Ce fut pour l'instruction particulière du cardinal, que Mably fit l'Abrégé des Traités,

depuis la paix de Westphalie. On prétend que le cardinal, sentant son infériorité dans les conseils, demanda la permission quelquefois de donner son avis par écrit, et que ce fut Mably qui le composait pour lui, ainsi que ses rapports et ses mémoires. Il rédigea également les pièces qui devaient servir pour les négociations qui furent ouvertes à Breda en 1746, deux ans avant la paix d'Aix-la-Chapelle. Mais Mably s'étant brouillé avec le cardinal, le quitta, et reprit ses anciennes études. Il se contenta de mille écus de rente de son bien paternel, et d'une pension de deux mille huit cents livres, qu'un de ses amis avait demandée au roi, à l'insu de Mably.

Ses ouvrages, qui firent, dit-on, la fortune de son libraire, ne contribuèrent en rien à améliorer la sienne. Il ne voulut jamais les vendre, n'exigeant que quelques exemplaires qu'il destinait à ses amis. Il chérissait la médiocrité pour jouir plus tranquillement de la retraite et de l'indépendance. Jamais il ne voulut accepter aucune place, ni contracter, comme il disait, d'engagement quelconque. Le maréchal de Richelieu le pressa tellement un jour de se mettre sur les rangs pour remplir une place vacante à l'Académie française, qu'à la fin il y consentit. Mais aussitôt qu'il fut sorti de chez le maréchal, se

repentant de sa promesse, il courut chez son frère, l'abbé de Condillac, et le conjura de le dégager à quelque prix que ce fût. Son frère se chargea de la négociation, et la chose en demeura là, quoiqu'il eût été reçu indubitablement. Sa santé, qui commençait à s'affaiblir, demandait, vers la fin de sa vie, plus de soins, et conséquemment une augmentation de dépense. Mais sentant qu'il dépérissait, et voyant que ses économies, destinées à former un fonds pour un ancien et fidèle domestique, ne suffiraient pas pour remplir ses vues, il retrancha encore sur ses aiet laissa à son vieux serviteur quatre mille livres, ce qui formait toute sa succession.

sances,

Après s'être confessé et avoir reçu les sacrements, il termina sa vie en témoignant hautement sa croyance dans la religion: acte qui désola tous les prétendus philosophes, lesquels désiraient ardemment de l'associer à leur secte.

Son Parallèle des Romains et des Français, qui parut en 1740, fut très accueilli du public, mais ensuite condamné par l'auteur, qui dit luimême : « Quand je vins à revoir mon ouvrage » de sang-froid, je trouvai qu'un plan qui m'avait » paru d'abord très judicieux, n'était en aucune >> façon raisonnable : nul ordre, nulle liaison » dans les idées; des objets présentés sous un

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