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rectement à sa fierté, il est âpre dans ses réponses, et méconnaît les gens qu'il aime le mieux >>.

M. Thomas a fait une dissertation sur notre poète Milton, qui fut communiquée à M. de Buffon, et sur laquelle l'illustre historien de la nature fit quelques observations critiques, que je vais transcrire avec d'autant plus de confiance, qu'elles sont l'ouvrage d'un des plus célèbres écrivains de la France, et qu'elles ont pour objet de rectifier les erreurs d'un autre écrivain français, parlant du plus grand poète de l'Angleterre. Ce morceau d'ailleurs est très Et, pour dernier motif, il m'a paru propre à vous perfectionner dans l'étude de la littérature française.

peu

connu.

M. Thomas critiqué par M. de Buffon.

M. Thomas dit des Anglais : « Cette chaleur >> ardente et sombre se fait sentir partout dans les » poètes anglais ».

-Ardente et sombre sont deux épithètes qui ne vont point ensemble. Quand on veut associer ainsi les mots qu'on n'a pas coutume de réunir, il faut mettre, mais, quoique, ou cependant; quelques expressions, en un mot, qui fassent sentir qu'on a connu la disconvenance apparente, mais qu'on veut exprimer des rapports nou

veaux.

<«<Loin de la nature tranquille et commune". -Le mot de commun n'est pas le mot propre pour la nature.

En parlant de la langue anglaise, il dit :

« Un de ses autres caractères est la richesse; » elle a prodigieusement acquis dans un com» merce habituel avec les anciens poètes qui ont » été traduits en vers, soit en tout, soit en par» tie, par les plus grands poètes anglais ».

Un de ses autres caractères : je n'écrirais pas ainsi, et j'aurais préféré la tournure simple: La richesse est un de ses autres caractères. Il faudrait qu'une idée fût bien grande pour supporter ces inversions, et cette attente dans laquelle on laisse le lecteur; d'ailleurs la richesse seule est une expression imparfaite, il faudrait peutêtre dire la richesse d'expressions.

«< Elle a prodigieusement acquis dans un » commerce habituel, etc.»

Il fallait tourner la phrase, et dire: Les poètes anglais lui ont fait prodigieusement acquérir par un commerce habituel avec les anciens qu'ils ont traduits; car dans la construction de M. Thomas, elle, c'est-à-dire la langue, se trouvant répondre au mot commerce, on associe ainsi un être méthaphysique avec un être physique, et c'est toujours une mauvaise manière

d'écrire; au lieu que prenant les poètes anglais pour le nominatif, on les réunit tout naturellement avec le commerce.

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<«< Il est assez singulier, dit M. Thomas, qu'un peuple libre, et où la plupart des esprits sont >> républicains, ait cédé aux grands poètes cette espèce de despotisme sur la langue, tandis qu'un peuple monarchique est resté libre, et » pour ainsi dire républicain, pour la sienne, et >> refuse de reconnaître sur cet objet l'empire » même des hommes de génie ».

- Cette idée est fort ingénieuse; mais elle reste obscure, parce qu'étant tirée de loin elle aurait dû être nuancée avec beaucoup d'art. En général, toutes les idées fines et neuves doivent être amenées par des nuances. M. Thomas dit, en parlant de l'homme :

« Un être qui appartient au ciel par son ori» gine, à l'enfer par ses tourments et ses pas»sions, à l'éternité par sa durée. »>

La phrase est fort belle, mais elle est gâtée par ces mots : tourments et passions. Il fallait dire: Au ciel, par son origine; à l'enfer, par sa chute; à l'éternité, par sa durée; alors l'analogie eût été parfaite.

M. Thomas fait ensuite un très beau résumé,

et dans les termes les plus nobles, du poëme de Milton; puis, il ajoute :

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Il faut convenir qu'un pareil sujet, sous la >> plume d'un homme de génie, devait donner >> le plus grand essor à la langue poétique des » Anglais il fallait qu'à tout moment le poète » se créât une langue nouvelle par des images » qui n'avaient jamais été tracées. »

Après ce beau morceau sur Milton, l'expression, il faut convenir, n'est pas supportable. Ce ton de conversation et de familiarité fait ici la plus grande dissonance. Il fallait un élan pour lier cette phrase avec la précédente, par exemple: Quel essor un pareil sujet, sous la plume d'un homme de génie, ne devait il pas donner à la langue poétique des Anglais?

M. Thomas dit : « Il fallait que le poète peignît >> des êtres intellectuels par des formes sensibles; >> des forces, des grandeurs et des passions » surnaturelles, par un langage qui n'était in» venté que pour la faiblesse de l'homme. »

Il n'est pas vrai que les langues n'aient été inventées que pour la faiblesse de l'homme. La phrase eût été plus juste de cette manière: par un langage que des hommes faibles ont in

venté.

M. Thomas continue ; « Il fallait qu'il trouvât

»des expressions égales à l'horreur des enfers, >> à la magnificence des cieux, à la volupté, etc..., c'est-à-dire, à des sensations que l'homme n'éprouva jamais. »

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J'aurais voulu que M. Thomas eût parlé de l'intelligence humaine qui s'élève à des sensations dont nos sens même ne nous ont jamais donné l'idée.

<< Tantôt d'accord avec l'harmonie céleste, et > tantôt avec les accents infernaux. »

Il fallait dire avec les cris infernaux. Le mot harmonie est bien; il se prend en bonne part. Le mot accent, qui lui répond, est mal; car il se prend aussi en bonne part, etc......

On voit, par ces observations critiques, que M. de Buffon connaissait parfaitement le mécanisme de la langue qu'il écrivait si bien, et que M. Thomas écrivait avec plus de verve que de justesse.

GUILLAUME-THOMAS RAYNAL.

Raynal naquit en 1711 à Saint-Geniez, petite ville du diocèse de Rhodez.

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Il reçut son éducation au collége des jésuites, à Toulouse. Il entra dans cette société, fit les premiers vœux, reçut la prêtrise; mais quitta bientôt après les jésuites, dont il resta cependant

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