Imágenes de páginas
PDF
EPUB

» une seule, à celle où travaillait Voltaire, » c'est-à-dire, à la destruction du christia » nisme. »

Et puis dans un autre endroit : « On pourrait »> ne le pas rendre responsable de ces malheu>> reuses lettres, dont l'impression n'est pas de » son fait, mais bien de celui de ses amis, s'il » n'était d'ailleurs trop avéré qu'ils n'ont été que >> les fidèles exécuteurs d'une volonté bien déter» minée, et qui leur était commune à tous. On >> voit que d'Alembert a voulu se survivre à lui» même dans le monde incrédule : qu'il a légué » à la secte ses titres d'impiété, et a chargé ses >> amis de ce qu'il n'avait pas osé par lui-même. » Après de tels aveux, comment donc est-il possible que M. de La Harpe ne se croie pas autorisé à mettre d'Alembert au nombre des sophistes coupables qui se sont armés contre la religion? Il dit qu'il savait que d'Alembert, son ami, n'avait point de religion; et en cela il va beaucoup au-delà des bornes qu'il devait se prescrire, même envers un ennemi. On devrait croire, d'après cette phrase, ainsi que d'après plusieurs autres, dans lesquelles M. de La Harpe fait sentir que d'Alembert ne croyait que ce qui peut être démontré; on devrait croire, dis-je, que d'Alembert n'avait aucune croyance, enfin,

qu'il était athée; et cependant, quoiqu'il attaquât la religion révélée, il ne niait pas l'existence d'un Être-Suprême : il passait universelle

ment dans le monde

pour un déiste.

DENIS DIDEROT.

Diderot, fils d'un coutelier de Langres, naquit en cette ville en 1713.

Il fit ses études au collége des jésuites. On le plaça ensuite chez un procureur à Paris; mais son père ayant appris qu'il ne voulait rien faire chez ce procureur, et qu'il s'occupait uniquement de littérature, il supprima la pension qu'il lui avait accordée. Diderot avait appris assez de mathématiques pour pouvoir en donner des lecons; et pendant quelque temps il continua de subsister par ce moyen. On prétend qu'il faisait aussi des sermons, et qu'un missionnaire lui en ayant commandé six, il les paya cinquante écus pièce.

En 1741, il épousa une demoiselle nommée Champion, fille sans fortune, et dont la mère s'était mariée en secondes noces avec un manufacturier d'étamines dans le Maine. Ce fabricant ayant fait banqueroute, mourut quelque temps après, et sa veuve vint à Paris, où elle s'associa ́ avec une de ses amies, pour faire le commerce

de dentelles. Ce fut alors que se forma la liaison de Diderot avec mademoiselle Champion, qui paraît lui avoir fourni l'idée de madame de SaintAlbin dans le Père de Famille.

Se trouvant embarrassé dans ses affaires domestiques, il vendit, en 1768, sa bibliothèque à l'impératrice de Russie, pour quinze mille livres; mais l'impératrice lui en laissa la jouissance (1), avec une pension de mille livres, pour en être, disait-elle, le bibliothécaire. Cette pension ne fut point payée pendant deux ans. «<Le >> prince Galitzin, qui se trouvait à Paris, ayant >> demandé à Diderot s'il la recevait exactement, » il lui répondit qu'il n'y pensait pas; qu'il était >> trop heureux que S. M. I. eût bien voulu >> acheter sa boutique et lui laisser ses outils. Le

prince l'assura que ce n'était point l'intention >> de sa souveraine. En effet, quelque temps >> après, l'impératrice lui manda que, pour le ga>> rantir désormais d'un pareil oubli, elle lui

(1) Dans une lettre de Diderot à d'Alembert, il dit:

« J'avais fait proposer par Grimm, à l'impératrice de Russie, » d'acheter ma bibliothèque. Savez-vous ce qu'elle a fait? Elle la » prend, elle me la fait payer ce que j'en ai demandé, elle me » la laisse, et elle y ajoute cent pistoles de pension; et il faut » voir avec quelle attention, quelle délicatesse, quelle grâce >> tous ces bienfaits sont accordés, »

>> envoyait cinquante années d'avance, et il reçut >> cinquante mille francs (1). » A son invitation, il alla à Pétersbourg; mais on m'a assuré que sa majesté fut très aise de l'en voir partir (2). N'é

(1) Ouvrage intitulé: Aux Mánes de Diderot.

(2) Le baron Grimm, Saxon, dont on a dernièrement imprimé les lettres, et qui entretenait alors, et a continué jusqu'à son départ de Paris, en 1792, d'entretenir une correspondance avec l'impératrice, sur des matières littéraires, excita dans sa majesté le désir de voir Diderot. Son éloquence, sa manière de s'exprimer, firent trouver du plaisir à l'impératrice dans ses entretiens; mais on dit qu'il était peu instruit des objets qui auraient pu l'intéresser, tels que l'histoire des temps reculés de différents empires, qui était son étude favorite. Elle avouait qu'elle ne se connaissait ni en vers, ni en musique, ni en peinture; mais elle encourageait les arts, comme nécessaires à un grand empire, et à un empire naissant. Les achats unmenses qu'elle faisait de tableaux, de statues, de livres et de manuscrits, ainsi que l'encouragement qu'elle donnait aux artistes, aux savants, aux gens de lettres, n'étaient, suivant la remarque de quelques censeurs chagrins, que des actes de vanité. Mais si cette passion entrait pour quelque chose dans cet empressement, c'était une vanité bien avantageuse à son empire, où elle rassemblait des chefs-d'œuvre propres à étendre les connaissances et à perfectionner le goût de ses sujets.

Une ame commune aurait cherché probablement à faire tomber dans l'oubli les actions et la personne de Pierre Ier., pour fixer sur elle seule l'admiration; mais Catherine II se montra

tant pas instruit des usages d'une cour, l'on devait s'attendre que, sous ce rapport, Diderot se trouverait souvent en défaut; mais il paraît qu'il manqua à des convenances à la portée de tout le monde. Une personne m'a dit tenir de l'impératrice elle-même, que Diderot lui fit un jour cette question impertinente, en présence de plusieurs personnes : A combien, madame, monte le revenu de votre empire? Sa majesté le faisait venir quelquefois chez elle les matins, pour s'entretenir avec lui. Il mit une autre fois, dans la chaleur de la conversation, la main sur les genoux de l'impératrice : elle n'eut pas l'air de s'en apercevoir; mais dans les entretiens suivants, elle eut soin qu'une petite table établît un espace entre elle et le trop familier philosophe. Le buste de Diderot était dans le cabinet de l'impératrice;

véritablement grande dans les soins qu'elle prit de faire ériger un superbe monument à cet empereur et de faire célébrer sa mémoire. Elle était libérale, elle aimait à donner, et ses dons les plus magnifiques acquéraient encore un nouveau prix par la manière dont ils étaient faits. Elle savait tempérer la rigueur de la justice, sans nuire à l'ordre public ou à la sûreté du gouvernement. Dans le cours d'un aussi long règne, et malgré les circonstances extraordiuaires où elle s'est trouvée, on ne compterait peut-être pas cinquante personnes qui aient, dans son immense empire, subi la peine de mort.

« AnteriorContinuar »