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>> a composés, qu'un seul homme ait pu suffire à >> des ouvrages aussi considérables. Mais il faut >> songer que cet homme unique a vécu quatre» vingt-quatre ans, et qu'il a composé pendant >> soixante-six sans interruption; qu'il n'a été >> distrait par aucun emploi public; qu'il a con» servé jusqu'au dernier moment les facultés de >> son esprit, et qu'on a enfin imprimé jusqu'aux >> plus petits billets qu'il a écrits. De cette im>> mense collection, si on ôtait les répétitions des » mêmes idées, qui se représentent souvent, ses » déclamations contre les Fréron, les Patouil» let, etc., on diminuerait considérablement le » nombre des volumes. >>

Voltaire entraîna les esprits par le charme du ridicule, plutôt qu'il ne les subjugua par la force des raisonnements; et aucun auteur, je crois, n'a écrit sa langue avec plus de goût, de grâce, et de légèreté. On lit Voltaire toujours avec plaisir : on y trouve un enchaînement naturel d'idées qui séduit, une manière de s'exprimer qui plaît et intéresse; on aime à l'entendre, même quand on ne pense pas comme lui. Des ouvrages comme ceux de Montesquieu, sont, comme il le dit lui-même, plus approuvés que lus; de pareilles lectures peuvent être un plaisir, elles ne sont jamais un amusement.

Un auteur qui ne se nomme pas, en parlant de Voltaire, dit : « Voltaire a fait des enthou>>siastes ardents, et des critiques outrés. Chef » d'une secte nouvelle, ayant survécu à tous ses rivaux, et éclipsé tous les poètes ses contempo>> rains, il a eu, par tous ces moyens réunis, la plus grande influence sur l'esprit et sur les >> mœurs de son siècle. S'il s'est servi de ses ta

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>> lents pour faire aimer l'humanité, pour inspi» rer aux souverains les sentiments de la justice >> et de l'indulgence, il en a abusé plus souvent » pour répandre des principes d'irréligion et » d'indépendance. Cette sensibilité qui anime » ses ouvrages, l'a dominé dans sa conduite; il » n'a presque jamais résisté aux impressions de >> son esprit vif et bouillant, et aux ressentiments >> de son cœur. Il recherchait les plaisirs, les » goûtait, et les célébrait; s'en lassait, et les fron>> dait. Par une suite de ce caractère, il passait » de la morale à la plaisanterie, de la philosophie à l'enthousiasme, de la douceur à l'em>> portement, de la flatterie à la satire, de la mo>> destie d'un sage à la vanité la plus outrée. » Avec les personnes jalouses de le connaître, il » commençait par la politesse, continuait par >> froideur, et finissait par le dégoût, à moins » que ce ne fussent des littérateurs accrédités, ou

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>> des hommes puissants qu'il avait intérêt de » ménager. On a dit qu'il ne tenait à rien par >> choix, et tenait à tout par boutade. Comme » homme de lettres, il occupera, sans doute, » une des premières places dans l'estime de la postérité, par son imagination brillante, par >> son goût exquis, par sa facilité prodigieuse, >> par la diversité de ses talents, et par la variété » de ses connaissances. >>

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Une petite anecdote assez singulière mérite peut-être d'être citée, pour prouver combien tout ce qui avait rapport à Voltaire acquérait de prix. M. Hubert, homme d'esprit, avait le ta→ lent de faire l'exacte ressemblance d'une personne, en découpant une carte à jouer qu'il tenait avec des ciseaux derrière son dos. Il a vécu long-temps avec Voltaire; et la mobilité de sa physionomie, très expressive dans diverses situations, donna lieu à M. Hubert d'exercer son talent. Il en est résulté un très grand nombre de figures de Voltaire: l'une est intitulée : Voltaire en colère; l'autre, boudeur, chagrin, railleur: une, entr'autres, patte-de-velours. L'impératrice de Russie acheta fort cher cette bizarre collection.

«< Voltaire était assurément un beau génie, et >>> il n'avait pas encore, en 1753, rempli l'Eu

>> rope de libelles impies, comme il le fit depuis, pendant ses trente dernières années. Lorsqu'il >> fut forcé de quitter Berlin, il songea un mo»ment à passer dans les états de l'impératrice>> reine; il avait fait autrefois une ode à sa louange, >>> et venait tout récemment d'en faire un brillant » portrait dans son Siècle de Louis XV. Ce» pendant, cette grande princesse, informée de » son dessein, dit tout haut: M. de Voltaire » doit savoir qu'il n'y a point de Parnasse » dans mes états, pour un ennemi de la reli»gion. Voltaire fut bientôt instruit de ce qu'elle >> avait dit pour qu'il le sût. Il fut quelque temps >> errant, jusqu'à ce qu'il trouvât un asyle sur le >> territoire de Genève, et bientôt un autre à >> l'extrémité de la frontière de Bourgogne; et il » dut ce dernier à la protection toute-puissante >> du duc de Choiseul, qui alors tourna comme » il voulut la volonté de Louis XV (1). »

Lorsque l'empereur Joseph parcourut les différentes contrées de l'Europe, et qu'on sut qu'il devait visiter la Suisse, Voltaire s'attendait à ce qu'il viendrait à Ferney, et même en parlait comme d'une chose certaine. Arrivé à Genève,

(1) Extrait de l'Histoire de la Philosophie du dix-huitième şiècle, par M. de La Harpe.

Voltaire, qui avait un courrier stationné dans l'endroit où l'on changeait les chevaux, ayant été averti que la voiture de l'empereur approchait, descendit jusqu'au bord de la route, accompagné de quelques personnes qui se trouvaient chez lui, pour complimenter et recevoir S. M. La voiture passa outre, sans que l'empereur jetât un seul regard, ni sur Ferney, ni sur le maître du château, que probablement il ne voyait pas. Voltaire parut extraordinairement affecté; et dans son trouble, se tournant vers sa nièce, et la prenant par le bras, il lui dit: Rentrons, il nous méprise. On prétend que l'empereur avait reçu défense de sa mère, l'impératrice Marie-Thérèse, d'aller à Ferney, et cela est vraisemblable.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

Rousseau, fils d'un horloger de Genève, naquit en cette ville le 28 juin 1712. Sa naissance coûta la vie à sa mère : ce qu'il appelait le premier de ses malheurs. Pendant son enfance, il fut, comme Voltaire, faible et languissant ; mais en avançant en âge, son corps se fortifia. Il donna de bonne heure des marques d'esprit, mais aussi de ce caractère inquiet et fàcheux qu'il conserva toute sa vie. Son père, qui était homme

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