Imágenes de páginas
PDF
EPUB

» mon cher Aza, dans la plupart d'entre eux, >> les vices sont artificiels comme les vertus, et >> la frivolité de leur caractère ne leur permet » d'être qu'imparfaitement ce qu'ils sont.... »

L'ABBÉ PRÉVOT.

Antoine-François Prévot naquit en 1697, d'une bonne famille, à Hesdin en Artois.

,

La vie de cet auteur de tant de romans pourrait fournir elle-même le sujet d'un roman. Après avoir fait ses études chez les jésuites, il en prit l'habit, qu'il quitta bientôt après pour porter les armes. On prétend qu'à cette époque il lui arriva le plus terrible des malheurs, celui d'être cause de la mort de son père, lequel s'étant jeté dans sa colère sur une jeune personne dont son fils était éperdûment amoureux, et qui était sur le point de faire ses couches, le fils, en faisant des efforts pour délivrer sa maîtresse, précipita son père du haut d'un escalier. Des gens dignes de foi ont assuré ce fait, et ont prétendu que cette affreuse catastrophe avait noirci son imagination, et était le principe des peintures tragiques qui règnent dans ses romans.

Il s'enrôla comme simple volontaire ; mais peu de temps après, il retourna chez les jésuites, d'où il sortit encore pour reprendre les armes

en qualité d'officier. Il était sensible à l'amour et se livra à toute son ivresse. La fin malheu→ reuse d'un attachement des plus tendres, l'engagea à quitter le service, et à s'ensevelir dans l'ordre des bénédictins de Saint-Maur. On le plaça à Saint-Germain-des-Prés. Le chagrin et l'étude amortirent pour quelque temps ses passions, mais ne les détruisirent pas, Après quelques années, il se dégoûta de la vie monastique, et il quitta Saint-Germain, sa congrégation, et son habit. Il passa en Hollande; et se trouvant sans fortune, il chercha des ressources dans ses talents littéraires. Il avait composé à Saint-Germain les deux premières parties des Mémoires d'un Homme de qualité retiré du monde, qu'il fit imprimer à La Haye. Il y forma des liaisons avec une femme dont il était aimé, et passa avec elle en Angleterre. Il sollicita ensuite la permission de retourner dans sa patrie, et l'obtint par les protecteurs que ses ouvrages lui avaient procurés. Arrivé à Paris, il prit l'habit ecclésiastique; le prince de Conti lui donna le titre de son secrétaire, et celui de son aumônier. Le chancelier d'Aguesseau était au nombre de ses amis, et il était partout bien accueilli.

Le 23 novembre 1763, se promenant seul dans la forêt de Chantilly, une attaque d'apo

plexie, ou quelque autre accident, l'étendit au pied d'un arbre. Des paysans qui survinrent, le portèrent chez le curé de Saint-Firmin. On appela d'abord la justice, qui, ne trouvant point de marque de violence au - dehors, fit procéder le chirurgien à l'ouverture du corps. Un cri de l'infortuné Prévôt, qui avait simplement perdu connaissance, arrêta l'instrument et épouvanta les spectateurs. Mais le coup mortel était porté. Il revint à lui-même, il rouvrit les yeux, mais ce ne fut que pour voir l'appareil cruel qui l'environnait, et pour apprendre la manière dont on lui arrachait la vie.

L'abbé Prévôt était doux, poli, capable de la plus constante et de la plus tendre amitié. L'envie, la haine, les tracasseries, étaient des vices étrangers à son cœur. Indifférent sur ses propres intérêts, il était très sensible aux disgrâces des autres, et souvent il s'est dépouillé du fruit de son travail pour secourir l'indigence. Voici commeil parle de lui-même dans son ouvrage intitulé Pour et Contre: « Médor est un homme de » trente-sept ou trente-huit ans, qui porte sur » son visage et dans son humeur les traces de >> ses anciens chagrins; qui passe quelquefois » des semaines entières sans sortir de son cabi>> net, et qui y emploie tous les jours sept à huit

» heures à l'étude; qui cherche rarement les >> occasions de se réjouir; qui résiste même à » celles qui lui sont offertes, et qui préfère >> une heure d'entretien avec un ami de bon » sens, à tout ce qu'on appelle plaisirs du monde >> et passe-temps agréables. Civil d'ailleurs, >> par l'effet d'une bonne éducation, mais peu ǝ galant; d'une humeur douce, mais mélanco >>lique; sobre enfin, et réglé dans sa conduite...>>

,

Dans les Mémoires d'un Homme de qualité qui s'est retiré du monde, et dans l'Histoire de Cleveland, fils naturel de Cromwell, il y a beaucoup de beautés et quelques défauts: on y trouve un grand nombre de caractères également vrais et bien soutenus; mais quoique la diction y soit pure, et les sentiments exprimés avec naturel et noblesse on est fatigué par des détails et des réflexions morales, trop multipliés et trop étendus. On a dit que le plus grand ennemi du roman, était le romanesque. Dans Cleveland, l'invraisemblance est portée jusqu'à l'absurde. L'auteur y suppose un bâtard de Cromwell, très bien accueilli de Charles II, traité avec distinction par madame la duchesse d'Orléans, sœur de ce monarque, qui va voir à Saint-Cloud le fils du meurtrier de son père, malade et dans son lit, et qui s'intéresse si vive.

[ocr errors]

ment à lui, qu'elle ordonne au bailli de SaintCloud de tirer de sa prison un ennemi de Cléveland, accusé d'avoir voulu l'assassiner, et de l'amener enchaîné dans son palais, pour l'interelle-même.

roger

Le roman du Doyen de Killerine, quoique beaucoup trop prolixe, amuse et intéresse quelquefois le lecteur.

L'Histoire de Marguerite d'Anjou, reine d'Angleterre, doit être également rangée dans la classe des romans; c'est un mélange de fictions et de faits historiques.

L'Histoire d'une Grecque moderne, qu'on disait être fondée sur des anecdotes véritables, a eu dans le temps le plus grand succès.

L'Histoire du chevalier de Grieux et de Manon Lescaut, est l'ouvrage où Prévôt a déployé le plus de talents. Le chevalier de Grieux est un jeune homme pensant bien, et agissant mal; aimable par ses sentiments, et blâmable par sa conduite. Manon est une fille abandonnée à ses plaisirs; et « c'est le comble de l'art, >> dit M. de Meilhan, d'avoir su inspirer un inté» rêt soutenu, pour deux créatures méprisables. » L'auteur a tellement nuancé leurs vices, et les »a si habilement mélangés avec de bonnes qua»lités, qu'on ne peut arriver au dénoûment

« AnteriorContinuar »