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connaître

lui la façon de penser, que le genre d'érudition, les mœurs et les usages du temps où il a vécu. Dans le seizième siècle, et même dans le dix-septième, Rabelais fut lu avec empressement; mais l'époque à laquelle ses écrits se rapportent, est à présent trop éloignée; son style est devenu difficile à comprendre; ses satires contre les moines ne peuvent actuellement ni plaire, ni intéresser; et les personnages qu'il met en jeu, et qu'il expose sur la scène, nous sont absolument inconnus (1). On achète donc un peu trop cher quelques bonnes plaisanteries, lorsqu'on est obligé, pour les trouver, de lire une infinité de plates et dégoûtantes bouffonneries, et d'indécences grossières, dont tout son ouvrage est parsemé.

<<< Il est donc nécessaire, dit l'auteur des Trois » Siècles de la Littérature française, de cher>> cher ailleurs que dans le mérite réel de ses ou» vrages, le principe du cours prodigieux qu'ils » ont eu; et pour cela il faut recourir à la nature » du cœur humain : la gaîté le captive, la mali» gnité a toujours su lui plaire, et la licence n'est » pas toujours propre à le révolter, parce qu'elle >> flatte en quelque manière un fond de corrup

(1) Voyez les Observations sur Rabelais, par M. le marquis de Paulmy.

» tion quien est inséparable. D'ailleurs, une imagi>> nation vive, féconde, plaisante, quelque incon»séquente et vagabonde qu'elle soit, amuse >> toujours pour le moment. Rabelais serait ac>>tuellement plongé dans l'oubli, s'il n'eût pas

passé toutes les bornes; moyen assuré d'entraî»> ner la multitude, et de paraître merveilleux >> aux esprits communs. >>

Quelques auteurs de nos jours ont cherché à l'imiter; on ne saurait dire pourquoi, car lors même qu'ils eussent obtenu le même succès que leur modèle, ce dont ils n'ont pu se flatter, ils n'étaient que des imitateurs dans un genre ordurier et désavoué par tous les honnêtes gens, autant que par les hommes de goût.

ne vois

:

Rabelais a été comparé à Cervantes; mais je pas sous quel rapport à mon avis, il n'en existe aucun. On lit et on goûte Don-Quichotte, dans tous les pays où les lettres sont connues : Rabelais ne trouve presque plus de lecteurs, même en France; et tout ce qui donnait de l'intérêt à son ouvrage, est passé. Quoique l'objet principal de Cervantes fût de corriger le mauvais goût qui régnait alors pour des romans extravagants, sa critique cependant embrasse une grande variété de sujets, et se trouve applicable à toutes les nations. Avec un ton de plaisanterie

admirable, jamais un mot n'a échappé à sa plume qui choquât la piété, la morale ou la pudeur; on trouve l'auteur de Don-Quichotte également pur dans son style et dans ses propos.

On a aussi appelé Sterne le Rabelais anglais; c'est peut être à cause de sa gaîté, et de quelques allusions peu délicates qu'on trouve dans ses ouvrages. On a dernièrement accusé Sterne d'être plagiaire; mais il avait un génie trop original, et une trop grande abondance d'idées, pour s'approprier celles d'autrui. Sa façon de s'exprimer lui est propre. On a cherché à l'imiter, mais personne n'a réussi. Sa manière de peindre les caractères, d'émouvoir l'ame, de faire sentir par quelques mots ce qui demanderait des pages dans un autre, prouve que ses écrits n'appartiennent qu'à lui. Celui qui, sans être ému, peut contempler Maria assise sur l'herbe, et Sterne à côté d'elle; Le Fèvre sur le lit de mort, entouré de son fils, de Toby et de Trim, celui-là n'a point d'ame. Sa critique sur les voyageurs et les écrivains de voyages, n'est pas seulement juste, mais elle exprime en quelques lignes tout ce qu'il fallait dire. Sa manière de faire contraster les caractères et les mœurs des Anglais avec celles des Français, est tout-à-fait neuve. Son désir et son embarras, lorsqu'il cherche le

moyen de parler à la dame qu'il rencontre à Calais; l'incident du petit officier qui lie conversation avec elle, à l'instant qu'il la regarde pour la première fois; le perruquier, et l'éloge de sa perruque ; la comparaison tirée de quelques shillings, le mendiant qui offre une prise de tabac à un autre de ses compagnons, etc., sont tout autant de morceaux caractéristiques, qui peignent l'auteur aussi bien que ce qu'il veut peindre. Maria, le moine, l'ange accusateur, et l'ange qui enregistre les péchés des mortels, auraient fourni de beaux sujets pour les pinceaux du Guide et de Raphaël. On revoit toujours M. Shandy, Toby et Trim, avec plaisir; on les quitte avec regret : ces originaux excitent tour à tour le rire et la sensibilité. On ne voit rien de semblable dans Rabelais.

SCARRON.

Paul Scarron, fils d'un conseiller au parlement, naquit à Paris en 1610, et y mourut en 1660.

Ses études finies, il prit le petit - collet, mais n'entra pas dans les ordres sacrés. Vers l'âge de vingt ans, il fit un voyage en Italie. Avant et après ce voyage, il était fort lié avec Marion

de Lorme (1) et Ninon de Lenclos. Il était gai, vif, très fécond en saillies, et fort recherché dans les sociétés ; mais ses jouissances ne furent pas de longue durée : la sciatique, le rhumatisme et d'autres maladies, qu'il gagna de bonne heure, à la suite d'une partie de débauche, le réduisirent à l'état dont il trace lui-même le tableau.

« J'ai, dit-il, trente ans passés : si je vais jus» qu'à quarante, j'ajouterai bien des maux à » ceux que j'ai soufferts depuis huit à neuf ans. » J'ai eu la taille bien faite, quoique petite; ma >> maladie l'a raccourcie d'un bon pied. Ma tête » est un peu grosse pour ma taille. J'ai le visage » assez plein, pour avoir le corps très décharné; >> de cheveux assez pour ne porter point de per>> ruque : j'en 'ai beaucoup de blancs, en dépit >> du proverbe. J'ai la vue assez bonne, quoique >> les yeux gros; je les ai bleus; j'en ai un plus >> enfoncé que l'autre, du côté que je penche la » tête. J'ai le nez d'assez bonne prise. Mes dents,

(1) Marion de Lorme, courtisane célèbre, dont, à ce qu'on prétend, le cardinal de Richelieu était passionnément amoureux. Après la mort du cardinal, elle fut menacée d'être mise à la Bastille. Le fameux Guy Patin, qui était son médecin, lui conseilla de se déguiser et de se tenir cachée; ce qui la mit à l'abri des recherches du ministère. On a publié, il Ꭹ a vingt à trente ans, sa Vie, dans laquelle on prétend prou ver qu'elle a vécu plus de cent vingt ans.

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