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toute tentative en sa faveur fut inutile; et après trois mois de séjour à Paris, il retourna à Bruxelles, en 1740. Il y mourut en 1741, à l'âge de soixante-dix ans, profondément pénétré des sentiments de la religion. Avant de recevoir les secours de la religion, il protesta publiquement qu'il n'était pas l'auteur de ces misérables couplets qui avaient empoisonné sa vie.

Ses ennemis prétendirent que, dans le temps qu'il jouissait de la plus haute faveur, soit dans le public, soit près des grands, il avait renié son père. Cette accusation, si elle était vraie, étoufferait sans doute notre sensibilité sur ses malheurs; mais des personnes impartiales ne la regardaient dans le temps, que comme une monstrueuse calomnie inventée pour lui nuire. Voici comme on raconte ce prétendu fait. On disait que 'son père s'étant rendu au théâtre, pour y voir jouer une des pièces de son fils, le bon vieillard, ému par les applaudissements qu'on prodiguait, annonça à ses voisins que l'auteur était son fils, ce qui lui attira de leur part beaucoup d'égards et de compliments; qu'au sortir du théâtre, voyant Rousseau, il courut à lui, le prit dans ses bras, l'appelant son cher fils; et que Rousseau, cn se retirant, affecta

de ne pas le connaître. J'avoue

que cette histoire a l'air d'une fable, mais d'une fable aussi absurde que révoltante; car il y aurait eu de sa part autant de bêtise que d'atrocité à renier son père. Tout le monde savait qui était le père de Rousseau; c'était ́son père qui l'avait fait élever dans les meilleurs colléges de Paris, et qui avait fourni à la dépense de son éducation. Rousseau ne pouvait pas imaginer qu'un fait de cette nature fùt ignoré. Un homme vertueux, Racine le fils, qui se dit instruit par des personnes dont le caractere le force de les croire, affirme que Rousseau n'a jamais rougi de sa naissance, quoiqu'elle lui ait été souvent reprochée, avec autant d'amertume que de bassesse, par des personnes que les talents et les lumières auraient dû armer contre un si triste préjugė. «Ne savez-vous pas, disait Voltaire à M. de...., » que son père était cordonnier? - Non, reprit >> celui-ci, je le croyais fils de Pindare ou d'Ho

>> race.

Piron lui a fait cette épitaphe:

Ci-gît l'illustre et malheureux Rousseau ;
Le Brabant fut sa tombe, et Paris son berceau.
Voici l'abrégé de sa vie,

Qui fut trop longue de moitié:
Il fut trente ans digne d'envie,
Et trente aus digne de pitié,

M. de Pompignan, ami de Rousseau, et poète pindarique comme lui, a fait, sur la mort de Rousseau, une belle ode, dont nous allons rapporter deux strophes.

La France a perdu son Orphée;

Muses, dans ces moments de deuil,
Elevez le pompeux trophée

Que nous demande son cercueil.
Laissez, par de nouveaux prodiges,
D'éclatants et dignes vestiges

D'un jour marqué par vos regrets!
Ainsi le tombeau de Virgile

Est couvert du laurier fertile

Qui par vos soins ne meurt jamais.

D'une brillante et triste vie
Rousseau quitte aujourd'hui les fers,
Et, loin du ciel de sa patrie,

La mort termine ses revers.

D'où ses maux ont-ils pris leur source?
Quelles épines, dans sa course,
Etouffaient les fleurs sous ses pas!
Quels ennuis! quelle vie errante,
Et quelle foule renaissante

D'adversaires et de combats!

Ses amis les plus intimes, et qui lui restèrent attachés toute la vie, furent les hommes les plus estimables pour leurs mœurs et leur piété, tels que Rollin, Brumoy, Racine fils, etc.; et il est

peu probable que de tels hommes eussent conservé pour Rousseau une amitié inébranlable, s'ils ne l'eussent pas cru incapable du crime dont ses ennemis l'accusaient.

Quoique Rousseau ait composé sept comédies (quatre en vers et trois en prose), il est géné– ralement reconnu que son génie n'était nullement propre au genre dramatique.

Dans quelques-unes de ses poésies, il règne sans doute un fond de misantropie qui les dépare quelquefois; il parle trop souvent de ses ennemis; mais dans l'ode tirée du psaume CXIX, il peint ses peines dans les termes les plus touchants.

Dans ces jours destinés aux larmes,
Où mes ennemis en fureur,
Aiguisaient contre moi les armes
De l'imposture et de l'erreur;
Lorsqu'une coupable licence
Empoisonnait mon innocence,
Le Seigneur fut mon seul recours:
J'implorai sa toute-puissance,

Et sa main vint à mon secours.

Et dans l'ode X, livre IV, à la Postérité, il dit:

Le Ciel, qui me créa sous le plus dur auspice,
Me donna pour tout bien l'amour de la justice,

Un génie ennemi de tout art suborneur,
Une pauvreté fière, une måle franchise,
Instruite à détester toute fortune acquise
Aux dépens de l'honneur.

Ces strophes sont rapportées ici plutôt comme relatives au malheur de l'auteur, que pour donner une idée de ses talents. Ni l'une ni l'autre des odes d'où elles sont tirées, ne sont au nombre de celles qui sont les plus estimées. Quoiqu'il y ait de belles pensées dans celle à la Postérité, elle a été fort critiquée dans le temps; et l'on disait alors que cette lettre ne parviendrait point à son adresse.

Mais je ne saurais mieux vous donner une idée juste du mérite de ce du mérite de ce poète, qu'en vous renvoyant, Madame, à M. de La Harpe, qui, poète lui-même, examine des ouvrages de Rousseau par les règles de l'art, et qui, en rendant. justice à ses grandes qualités, fait voir aussi où il est défectueux.

« Ses Psaumes, ses belles Odes, ses Cantates, avaient paru avant la fatale époque de 1710, qui l'éloigna de la France, et qui, en commençant ses malheurs, parut marquer en même temps le déclin de son génie. Il est donc juste de ranger la poésie lyrique, dans laquelle

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