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» La Motte: flattés que le premier leur eût trouvé » de l'esprit, mais ravis de s'en être trouvé bien » plus avec le second. »

De quatre tragédies de La Motte, on n'a conservé au théâtre que celle d'Inès de Castro, qui a été critiquée dans le temps, mais critiquée, comme on disait alors, tout en pleurant.

Qui aurait pu deviner que le pathétique se»rait le genre dans lequel il devait avoir le succès >> le plus brillant et le plus durable? Inès de » Castro en eut un prodigieux; et depuis plus de » soixante ans, c'est encore une des tragédies les » plus intéressantes de la scène française. Il n'y a >> peut-être jamais eu de phénomène littéraire >> aussi étonnant. Qu'avec la vivacité de sentiment >> dont la nature avait doué Corneille, Racine, > Voltaire, ils aient produit Cinna, Andromaque >> et Mérope, personne n'aura de peine à le com>> prendre mais la sensibilité semblait avoir été » refusée à La Motte, et voilà qu'il compose une » tragédie qui fait fondre en larmes tout Paris, >> et dont l'effet est le même dans les provinces, » malgré la médiocrité des acteurs; une tragédie >> dont le premier succès fut comparable à celui » du Cid. Par quel art ce nouvel enchanteur a-t-il >> donc pu remplacer, en partie, ce qui lui man>> quait? Par l'observation et l'étude. Il est évident

:

»

» qu'il avait acquis une connaissance profonde du » cœur humain, en recherchant soigneusement >> ce qui peut faire sur lui le plus d'impression. Il >> avait trouvé que l'amour malheureux d'un côté, » de l'autre l'orgueil du rang vaincu par la nature, » étaient susceptibles de produire le plus grand » attendrissement. Ce fut probablement d'après » ces réflexions qu'il bâtit son intrigue ; et l'ex>>cellence de son discernement sut tout préparer >> et tout mettre à sa place. La force des situations » de cette pièce est telle, qu'elle arrache quel>> quefois à l'auteur des traits déchirants, comme >> ce vers que dit Inès:

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Eloignez mes enfants, ils irritent mes peines.

>> Mais ce n'est presque jamais l'expression, c'est » la situation qui s'empare, pour ainsi dire, du >> spectateur, et porte son émotion au plus haut >> degré. La preuve de cette vérité, c'est que ce » chef-d'œuvre de combinaison perd infiniment » de son prix à la lecture.............. Quand nous ne » sommes plus témoins de ce qui se passe sur la » scène, il faut de l'énergie, de l'éloquence, de » la chaleur, pour nous y transporter par le seul » pouvoir de la parole. Ces qualités sont le pri>> vilége du génie; et voilà pourquoi on doit bien » se garder de comparer La Motte, qui ne les a

>> jamais eues, aux grands écrivains qui s'échauf >> fent dans leurs compositions, et dont le feu se >> communique à leurs lecteurs, sans qu'ils aient >> besoin de l'illusion du théâtre (1).

« J'ai entendu, dit Montesquieu, la première >> représentation d'Inès de Castro, de La Motte. >> J'ai bien vu qu'elle n'a réussi qu'à force d'être » belle, et qu'elle a plu aux spectateurs malgré >> eux. On peut dire que la grandeur de la tragé >> die, le sublime et le beau y règnent partout. Il » y a un second acte qui, à mon goût, est plus >> beau que tous les autres : j'y ai trouvé un art >> souvent caché, qui qui ne se dévoile pas à la pre» mière représentation, et je me suis senti plus » touché la dernière fois que la première. >>

M. de La Harpe, après avoir montré les défauts de cette tragédie, admet quelques beautés. « Au » reste, dit-il, quoique le style soit si loin de ré» pondre au sujet, il y a des endroits où la situa» tion a dicté à l'auteur quelques vers naturels et >> touchants...

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>> Mais la scène où le sentiment parle le plus, >> c'est celle où Inès amène ses enfants; et il était >> impossible qu'avec l'esprit de La Motte, il n'y

(1) Annales poétiques.

>> eût pas là quelques traits de cette vérité que >> tous les hommes doivent sentir :

Embrassez, mes enfants, ces genoux paternels.
D'un œil compatissant regardez l'un et l'autre ;
N'y voyez point mon sang, n'y voyez que le vôtre.
Pourriez-vous refuser à leurs pleurs, à leurs cris,
La grâce d'un héros, leur père et votre fils?
Puisque la loi trahie exige une victime,

Mon sang est prêt, seigneur, pour expier mon crime.
Epuisez sur moi seule un sévère courroux;

Mais cachez quelque temps mon sort à mon époux :

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>> Ce dernier sentiment est d'une délicatesse ex>> quise. Cet autre vers que prononce Inès dans >> les douleurs du poison, et que tous les cœurs >> ont répété :

Eloignez mes enfants, ils irritent mes peines,

» est d'une vérité déchirante : il est difficile que le >> cœur d'une mère ait un sentiment plus doulou

» reux. >>

De six comédies qu'on trouve dans ses ouvrages, celle du Magnifique seule, dont le sujet est tiré d'un conte de La Fontaine, est restée au théâtre, et a toujours soutenu sa première réputation.

Quelques unes de ses odes morales sont vraiment philosophiques, et pleines de pensées pro

fondes. Ses odes galantes sont fort agréables; la nature s'y montre avec toutes les finesses de l'art. On a observé que, dans ses églogues, ses bergers sont un peu trop ingénieux, mais que les délices et l'innocence de la vie champêtre y sont peintes avec beaucoup de vérité et d'agrément.

Ses fables ne pouvaient pas réussir, après celles de l'inimitable La Fontaine. En les comparant, on disait : «< On sent que La Fontaine écrit dans » son propre caractère; La Motte veut être naïf » comme lui, et il ne réussit pas. » Voici comme J.-B. Rousseau, en faisant semblant de blâmer La Fontaine, loue ironiquement les fables de La Motte:

Dans les fables de La Fontaine,
Tout est naïf, simple et sans fard;
On n'y sent ni travail ni peine,
Et le facile en fait tout l'art;
En un mot, dans ce froid ouvrage,
Dépourvu d'esprit et de sel,
Chaque animal tient un langage
Trop conforme à son naturel.

Dans La Motte-Houdart, au contraire,

Quadrupède, insecte, poisson

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Tout prend un noble caractère
Et s'exprime du même ton.
Enfin, par son sublime organe,

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