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« Ces vers charmants peuvent servir à prouver » que si Corneille, dans ses tragédies, n'a point >> fait parler l'Amour assez tendrement, on ne >> doit point attribuer cette manière de le pein» dre à un défaut de talent. Il paraît que ce grand poète s'était formé, sur l'amour tragique, un » systême absolument opposé à celui de Ra» cine. (1) »

» A l'époque où Corneille commença à écrire, » la littérature espagnole était très répandue en >> France. Anne d'Autriche avait introduit à la » cour une langue sonore et majestueuse, dans >> laquelle avaient été composés plusieurs ouvra» ges, qui avaient alors une grande réputation.

1670, et qui est imprimée dans les œuvres de Molière. Corneille y travailla, parce que Molière n'eut pas le temps de remplir tous les rôles. Voici comme en parle le Dictionnaire des Théâtres : « Le temps pressant trop Molière, il ne put » faire que le prologue, le premier acte, la première scène du » second, et la première du troisième. Corneille l'aîné se chargea » du reste, et le fit en quinze jours. Toutes les paroles qui se >> chantent sont de Quinault, à la réserve de la plainte ita» lienne, qui est de Lulli, etc. »

Les vers cités ici sont dans la scène troisième du troisième acte; par conséquent, ils sont de P. Corneille.

(1) Essai qui précède la Grammaire de Port-Royal, nouvelle édition.

>> Tous les poètes dramatiques savaient cette lan» gue, et cherchaient à faire passer, sur le théâtre » Français, des pièces que notre indigence, dans » cette partie de la littérature, nous faisait regar>> der comme des chefs-d'oeuvre. Les auteurs >> espagnols, doués d'une imagination vaste et » brillante, avaient fait quelques bonnes scènes >> théâtrales; mais plus jaloux d'inspirer la curio»sité que d'exciter cette sorte d'intérêt, qui ne >> peut naître que d'un sujet simple, ils s'étaient » étudiés à compliquer leurs canevas dramati» ques; et la représentation de leurs pièces exi>> geait une attention si scrupuleuse, que, comme >> le dit Boileau, d'un divertissement ils en fai>> saient une fatigue. Ils ne suivaient aucune règle » dans leurs compositions informes, et les trois >> unités leur étaient absolument inconnues..

....

>> Corneille ne put se préserver entièrement du » mauvais goût qui était répandu dans les meil>>>leures compagnies de son temps. Mais dans le >> choix qu'il fit des auteurs espagnols, dont il » voulut embellir ses ouvrages, on ne peut mé>>> connaître un homme supérieur. Le sujet du Cid, » qui était un des plus heureux que l'on pût trou» ver, avait été traité par deux poètes espagnols. » Corneille se l'appropria; il en fit un chef-d'œu»vre. L'Héraclius de Calderon était un cahos,

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» où le mauvais goût et les fausses combinaisons >> étaient portés à un degré difficile à concevoir. » Le poète français en fit une pièce régulière, où >> cependant il suivit un peu trop les traces de ses » modèles. Dans la suite, il puisa encore chez les >> Espagnols le sujet de don Sanche d'Aragon, >> qui, pour la conduite et pour le style, est infé>> rieur à Héraclius. On ne doit pas oublier qu'il >> trouva aussi, dans ce théâtre informe, l'idée du » Menteur. Mais, outre que la première pensée >> d'une comédie de caractère est peu importante, » puisque tout dépend de l'exécution, on doit >> remarquer encore que la liaison des scènes, et >> surtout le style vraiment comique de cette pièce, >> appartiennent entièrement à Corneille.

» Quoique ce grand poète ait embelli et per» fectionné tout ce qu'il a emprunté aux Espa» gnols, on ne peut révoquer en doute qu'en géné>>ral le style de presque toutes ses pièces ne porte » quelque empreinte des défauts que l'on a repro>> chés aux Calderone et aux Lopez de Vega. On >> remarque quelquefois, dans les tragédies même » de son bon temps, que les scènes d'amour Ꭹ >> sont trop raisonnées, et que l'auteur y suit, » d'une manière trop marquée, les formes un peu » pédantesques de l'école..........

» Mais les défauts ne se trouvent que très rare

>>ment dans les bonnes pièces de Corneille, et >> ils disparaissent sous le grand nombre de >> beautés franches, hardies et sublimes. Dans ses >> dernières pièces, lorsque le feu de la jeunesse » se fut éteint, les beautés diminuèrent, et les >> fautes devinrent plus fréquentes. (1) »

RACINE.

Jean Racine naquit à la Ferté-Milon en 1639, d'une famille noble, et fut élevé à Port-Royaldes-Champs. Il eut sur Corneille l'avantage de vivre à la cour et dans le grand monde. Il fut nommé gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, qui, pendant ses maladies, le faisait coucher auprés de lui; et comme il aimait à s'entretenir avec Racine, et à l'entendre réciter, il était quelquefois admis chez madame de Maintenon, quand le roi s'y trouvait. Mais il perdit sa faveur; et ce malheur inopiné fit une telle impression sur un cœur trop sensible, qu'il ne put le soutenir. Des maladies, produites par le chagrin, le conduisirent au tombeau, le 22 avril 1699, à l'âge de cinquante-neuf ans.

On raconte différemment la cause de sa dis

(1) Essai qui précède la Grammaire de Port-Royal, nouvelle édition.

grâce. Quelques-uns prétendent que madame de Maintenon, touchée de la misère du peuple, demanda à Racine un mémoire sur ce sujet, qu'elle donna au roi; que Louis XIV, peu content de voir que son historien s'occupât des défauts de son administration, defendit à madame de Maintenon de le revoir, en lui disant : Parce qu'il fait bien des vers, croit-il pouvoir être ministre?

en

Racine est le plus pur, le plus élégant, le plus harmonieux, le plus tendre, le plus éloquent des poètes français; un littérateur français a observé qu'en lisant ses vers on croit sentir qu'il eût été Virgile, sous le règne d'Auguste, comme, lisant ceux de Virgile, on est persuadé qu'il eût été Racine sous le règne de Louis XIV. Le choix heureux de leurs expressions, la continuité de leur élégance, et leur délicieuse harmonie, sont cause de l'égale difficulté qu'on éprouve à les bien traduire. Nous reconnaissons cette difficulté à l'égard de Racine, et tout le monde la reconnaît à l'égard du poète latin. (Voyez, ci-après, ce que dit M. de La Harpe à ce sujet.)

& Il semble, dit Vauvenargues, qu'on ne con» vienne de l'art de Racine, que pour donner à >> Corneille l'avantage du génie. Qu'on emploie » cette distinction pour marquer le caractère d'un >> faiseur de phrases, je la trouverai raisonnable;

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