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l'habit pendant plusieurs mois; mais soit que sa ferveur diminuât, soit, comme on le disait

détermina ensuite à embrasser l'état monastique. Il vendit ses terres, et en donna le produit à l'Hôtel-Dieu de Paris. Il ne conserva de tous ses bénéfices que le prieuré de Boulogne et son abbaye de la Trappe. Il prit l'habit régulier dans l'abbaye de Perseigne, de l'ordre de Cîteaux; il y fut admis, entra au noviciat en 1663, et fit profession l'année d'après, à l'âge de trente-huit ans.

Les religieux de la Trappe étant tombés dans de grands déréglements, l'abbé de Rancé demanda et obtint du pape des expéditions pour y établir la réforme. Il s'y rendit en 1664, et y établit ce qu'on appelait la règle de l'étroite observance, en rappelant les religieux à leur institution, au genre de vie prescrit par leur fondateur, et qui a été strictement suivi ensuite, jusqu'à ce que tous les ordres en France aient été dissous par la révolution. L'abbé de Rancé expira sur la paille, entouré de toute sa communauté, le 26 octobre 1700, à l'âge de soixantequatorze ans. Il a laissé de nombreux ouvrages. On a observé de lui, qu'il joignait à un zèle ardent mais éclairé, le talent de la persuasion et une grande facilité d'écrire.

Le monastère de Câteaux fut fondé en 1058, par S. Etienne, natif d'Angleterre, qui passa en France et se fit religieux dans le monastère des bénédictins (*) de Molesme. Il se retira ensuite dans la forêt de Citeaux, qui n'était alors qu'une vaste solitude. Il y fit bâtir un monastère, et y établit des religieux sous des statuts les plus rigides. Le travail était le seul moyen que

(*) En Angleterre on les appelait les moines noirs (black friars), à cause de leur habillement.

dans le temps, que l'abbé de Rancé le trouvât

d'une complexion trop faible

pour résister aux

les solitaires de Citeaux eussent pour subvenir à leurs besoins. Il y mourut le 28 mars 1134, dans une extrême vieillesse, et il fut canonisé. En 1140, Rotrou, comte de Perche, fonda sur les frontières du Perche et de la Normandie, l'abbaye de la Trappe; il y établit des religieux de Citeaux, et avec les mêmes statuts. Elle est située dans un grand vallon, et la forêt et les collines qui l'environnent semblent vouloir la cacher au reste de la terre. Selon les statuts qui furent rétablis par l'abbé de Rancé, les religieux s'abstenaient de manger de la viande, du poisson, des œufs; ils ne pouvaient parler que dans certains jours et dans certaines occasions, sans la permission de leur supérieur. Ils travaillaient trois heures au moins par jour, excepté quand des maladies ou leur âge les en empêchaient. Leur lit consistait dans une paillasse piquée, un oreiller rempli de paille, et une couverture; jamais ils ne se déshabillaient, même lorsqu'ils étaient malades. En été ils se couchaient à huit heures, et en hiver à sept. Ils se levaicut à deux heures pour aller à matines, qui duraient jusqu'à quatre heures et demie. L'église n'était éclairée que d'une seule lampe qui était devant le grand autel. Au sortir de matines, le reste du temps était distribué à d'autres actes de dévotion, à la lecture, au travail des mains et aux repas. A l'heure de la réfection, tous les religieux et convers se trouvaient au réfectoire. Après le repas, ils rendaient grâces à Dieu, et allaient à l'église achever leurs prières. Au sortir de l'église, ils se retiraient dans leurs cellules. Chaque religieux creusait peu à peu sa propre fosse. Avant de mourir, on le

austérités que l'ordre exigeait, La Motte reprit ses habits séculiers et quitta ce monastère. De retour à Paris, il suivit ses anciens goûts, et reprit ses premières habitudes. Il travailla d'abord pour l'opéra, et l'on croyait que son génie était plus adapté à la poésie lyrique qu'à la tragédie. Il donna une traduction de l'Iliade d'Homère, qui lui attira beaucoup de critiques (1); mais le dis

à un

couchait sur la paille et la cendre, où il expirait, le crucifix entre ses bras. La réforme établie par l'abbé de Rancé attira dans ce monastère un grand nombre de gens d'une imagination ardente, rappelés par la religion au repentir de leurs désordres. Beaucoup de ces religieux, malgré les austérités qu'ils s'étaient imposées, arrivèrent, comme dans les autres monastères, âge très avancé. Dans les couvents, les passions sont moins agitées que dans le monde; la vie y est plus sobre; on est moins exposé aux accidents, et dans les maladies on a moins de recours aux médicaments violents, qu'aux remèdes simples et à la diete.

(1) Houdart n'en veut qu'à la raison sublime

Qui dans Homère enchante les lecteurs;
Mais Arouet veut encor de la rime
Désabuser le peuple des auteurs.
Ces deux rivaux, érigés en docteurs,
De poésie ont fait un nouveau code;
Et bannissant toute règle incommode,
Vont produisant ouvrages à foison,

Où nous voyons que, pour être à la mode,

Il faut n'avoir ni rime ni raison. (J. B. ROUSSEAU.)

cours qui accompagne cet ouvrage a été regardé comme supérieurement écrit. Madame Dacier, dans son traité des Causes de la Corruption du Goût, l'attaqua avec une véhémence outrée. La Motte lui répondit de la manière la plus victorieuse, dans son Essai sur la Critique, ouvrage plein de sel, de raison, d'agrément et de philosophie (1). La querelle s'échauffa, et partagea pour un temps tous les beaux-esprits. Enfin, leurs amis les réconcilièrent, à la grande satisfaction de La Motte, qui n'avait jamais respiré que la paix. Il avait une douceur inaltérable, et qui ne l'abandonna jamais dans aucune circonstance. Un jeune homme, à qui par mégarde il marcha sur le pied dans une foule, le repoussa rudement, en lui disant quelque injure. Monsieur, lui dit La Motte, vous allez être bien fâché, car je suis aveugle. Rongé de la goutte, presqu'aveugle depuis l'âge de trente ans, accablé enfin d'infirmités, rien n'altéra un instant sa tranquillité d'ame, cette philantropie qu'il ma

(1) Dans ce combat sur les anciens et les modernes, madame Dacier prit les armes d'un homme érudit, d'un régent de college, ou d'un professeur de l'Université, tandis que La Motte se défendit en femme d'esprit, galante et élevée à la

cour.

nifesta jusqu'à son dernier moment. Il mourut le 16 décembre 1731, dans sa soixantième année, d'une fluxion de poitrine.

pour eux,

Fontenelle et La Motte, quoique faits en apparence pour être rivaux, furent toujours les amis les plus intimes. Fontenelle disait: C'est un beau trait dans ma vie, de n'avoir pas été jaloux de M. de La Motte. Je citerai ici leur parallèle fait par d'Alembert. « Lorsqu'ils se trouvaient, dit-il, >> dans des sociétés peu faites ils n'a>> vaient ni la distraction, ni le dédain, que la >> conversation aurait pu justifier. Ils laissaient >> aux prétentions de la sottise en tout genre, la >> plus libre carrière. Mais Fontenelle, toujours » peu pressé de parler, se contentait d'écouter >> ceux qui n'étaient pas dignes de l'entendre, et >> songeait seulement à leur montrer une appa>> rence d'approbation, qui les empêchait de pren>>dre son silence pour du mépris. La Motte, plus >> complaisant encore, ou plus philosophe, s'appliquait à chercher, dans les hommes les plus » sots, le côté favorable; il les mettait sur ce qu'ils >> avaient le mieux vu, sur ce qu'ils pouvaient le >> mieux entendre, et leur procurait, sans affec»tation, le plaisir d'étaler au-dehors le peu de >> savoir qu'ils possédaient. S'ils sortaient contents » d'avec Fontenelle, ils sortaient enchantés d'avec

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