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Pour vous soumettre vient de prendre
Le visage d'un cordelier.

Je ne sais point par quel augure
Il prend cette étrange figure.

Est-ce que cette robe aurait quelque vertu?
Mais enfin il en fait son habit de dimanche;
Et depuis que d'un froc il se voit revêtu,
ll croit vous tenir dans sa manche.

LA MOTTE.

Antoine Houdart de La Motte naquit à Paris en janvier 1672. Son père, marchand chapelier, était du diocèse de Troyes, et y possédait une petite terre nommée La Motte. Son fils Houdart était destiné pour le barreau; mais son goût pour la poésie et le théâtre le força d'y renoncer : il s'appliqua à l'étude des belles-lettres et de l'art dramatique. A l'âge de vingt-un ans, on représenta sa première pièce au théâtre Italien (1), intitulée les Originaux, en trois actes, mêlée de

(1) Il y avait eu à Paris, du temps de Louis XIV, une troupe de comédiens italiens qui fut renvoyée; il en revint une autre sous la régence, qui a subsisté long-temps, et à laquelle, en 1762, fut réuni l'Opéra-Comique français; ce qui fit que ce théâtre conserva le nom de Comédie italienne, qu'il n'a perdu que depuis la révolution. C'est dans la salle qui portait ce nom, que M. Catalani vient d'obtenir (1815) le privilége de donner des concerts.

prose et de vers, qui n'eut aucun succès. Bientôt après, il se retira à La Trappe (1), où il

porta

(1) Je crois, à ce propos, qu'il ne sera pas sans intérêt pour mes compatriotes que j'entre dans quelques détails sur la réformation de la Trappe, ainsi que sur un ordre qui, par cette réforme, devint si célèbre.

Armand-Jean Bouthillier de Rancé, naquit à Paris le 9 janvier 1626; il était neveu de Bouthillier, comte de Chavigny, ministre d'état et surintendant des finances, qui fut nommé par Louis XIII, dans son testament, membre du conseil de régence, avec le prince de Condé, le chancelier et le cardinal Mazarin. M. de Rancé était un des hommes de son temps parmi les gens du monde, le plus instruit de la littérature ancienne et moderne. Étant fort jeune, il publia une édition très estimée d'Anacréon en grec, avec des notes. Il avait plusieurs、 abbayes; il aimait les plaisirs, mais sans perdre de vue les objets auxquels aspirait son ambition. On attribue la résolution qu'il prit de se faire religieux, à une circonstance la plus extraordinaire et la plus tragique. Au retour d'un voyage, allant voir la célèbre duchesse de Montbazon qu'il aimait, et dont il ignorait la mort, il monta, comme il avait coutume, par un escalier dérobé. En entrant dans son appartement, quelle fut sa surprise d'y trouver un cercueil de plomb qui renfermait le corps de sa maîtresse! et ce qui ajouta à l'horreur du spectacle, c'est que le cercueil s'étant trouvé trop court, la tête avait été séparée du corps, et mise à côté dans un bassin. Cette mort si inattendue et cet aspect affreux produisirent une révolution totale dans les sentiments de l'abbé de Rancé. Il se retira d'abord dans sa terre de Verret, près de Tours. Il se

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l'habit pendant plusieurs mois; mais soit que sa ferveur diminuât, soit, comme on le disait

détermina ensuite à embrasser l'état monastique. Il vendit ses terres, et en donna le produit à l'Hôtel-Dieu de Paris. Il ne conserva de tous ses bénéfices que le prieuré de Boulogne et son abbaye de la Trappe. Il prit l'habit régulier dans l'abbaye de Perseigne, de l'ordre de Cîteaux; il y fut admis, entra au noviciat en 1663, et fit profession l'année d'après, à l'âge de trente-huit ans.

Les religieux de la Trappe étant tombés dans de grands déréglements, l'abbé de Rancé demanda et obtint du pape des expéditions pour y établir la réforme. Il s'y rendit en 1664, et y établit ce qu'on appelait la règle de l'étroite observance, en rappelant les religieux à leur institution, au genre de vie prescrit par leur fondateur, et qui a été strictement suivi ensuite, jusqu'à ce que tous les ordres en France aient été dissous par la révolution. L'abbé de Rancé expira sur la paille, entouré de toute sa communauté, le 26 octobre 1700, à l'âge de soixantequatorze ans. Il a laissé de nombreux ouvrages. On a observé de lui, qu'il joignait à un zèle ardent mais éclairé, le talent de Ja persuasion et une grande facilité d'écrire.

Le monastère de Citeaux fut fondé en 1058, par S. Etienne, natif d'Angleterre, qui passa en France et se fit religieux dans le monastère des bénédictins (*) de Molesme. Il se retira ensuite dans la forêt de Cîteaux, qui n'était alors qu'une vaste solitude. Il y fit bâtir un monastère, et y établit des religieux sous des statuts les plus rigides. Le travail était le seul moyen que

(*) En Angleterre on les appelait les moines noirs (black friars), à cause de leur habillement. *

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Mans le temps, que l'abbé de Rancé le trouvât l'une complexion trop faible pour résister aux

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es solitaires de Citeaux eussent pour subvenir à leurs besoins. Il y mourut le 28 mars 1134, dans une extrême vieilesse, et il fut canonisé. En 1140, Rotrou, comte de Perche, fonda sur les frontières du Perche et de la Normandie, Tabbaye de la Trappe; il y établit des religieux de Citeaux, et avec les mêmes statuts. Elle est située dans un grand vallon, et la forêt et les collines qui l'environnent semblent vouloir la cacher au reste de la terre. Selon les statuts qui furent rétablis par l'abbé de Rancé, les religieux s'abstenaient de manger de la viande, du poisson, des œufs; ils ne pouvaient parler que dans certains jours et dans certaines occasions, sans la permission de leur supérieur. Ils travaillaient trois heures au moins par jour, excepté quand des maladies ou leur âge les en empêchaient. Leur lit consistait dans une paillasse piquée, un oreiller rempli de paille, et une couverture; jamais ils ne se déshabillaient, même lorsqu'ils étaient malades. En été ils se couchaient à huit heures, et en hiver à sept. Ils se levaient à deux heures pour aller à matines, qui duraient jusqu'à quatre heures et demie. L'église n'était éclairée que d'une seule lampe qui était devant le grand autel. Au sortir de matines, le reste du temps était distribué à d'autres actes de dévotion, à la lecture, au travail des mains et aux repas. A l'heure de la réfection, tous les religieux et convers se trouvaient au réfectoire. Après le repas, ils rendaient grâces à Dieu, et allaient à l'église achever leurs prières. Au sortir de l'église, ils se retiraient dans leurs cellules. Chaque religieux creusait peu à peu sa propre fosse. Avant de mourir, on le

austérités que l'ordre exigeait, La Motte reprit ses habits séculiers et quitta ce monastère. De retour à Paris, il suivit ses anciens goûts, et reprit ses premières habitudes. Il travailla d'abord pour l'opéra, et l'on croyait que son génie était plus adapté à la poésie lyrique qu'à la tragédie. Il donna une traduction de l'Iliade d'Homère, qui lui attira beaucoup de critiques (1); mais le dis

couchait sur la paille et la cendre, où il expirait, le crucifix entre ses bras. La réforme établie par l'abbé de Rancé attira dans ce monastère un grand nombre de gens d'une imagination ardente, rappelés par la religion au repentir de leurs désordres. Beaucoup de ces religieux, malgré les austérités qu'ils s'étaient imposées, arrivèrent, comme dans les autres monastères, à un âge très avancé. Dans les couvents, les passions sont moins agitées que dans le monde; la vie y est plus sobre; on est moins exposé aux accidents, et dans les maladies on a moins de recours aux médicaments violents, qu'aux remèdes simples et à la diète.

(1) Houdart n'en veut qu'à la raison sublime

Qui dans Homère enchante les lecteurs;
Mais Arouet veut encor de la rime
Désabuser le peuple des auteurs.
Ces deux rivaux, érigés en docteurs,
De poésie ont fait un nouveau code;
Et banuissant toute règle incommode,
Vont produisant ouvrages à foison,

Où nous voyons que, pour être à la mode,

Il faut n'avoir ni rime ni raison. (J. B. ROUSSEAU.)

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