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sein un homme dont le talent avait agrandi la littérature et la gloire de la nation. Il fut nommé en effet membre de l'Académie française en 1772; mais cette nomination n'eut pas de suite, parce

Delille n'avait pas l'âge prescrit par les régleque ments. Deux ans après il fut réélu, à la place de M. de la Condamine, dont il fit l'éloge, dans son discours de réception, de manière à placer ce discours au rang des meilleures productions académiques.

Peu d'années après il acheva son Poëme des Jardins, rempli de descriptions pittoresques et brillantes, telles celle-ci (Chant I.):

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que

Jardins de Versailles.

Loin de ces vains apprêts, de ces petits prodiges,
Venez, suivez mon vol au pays des prestiges;
A ce pompeux Versailles, à ce riant Marly,
Que Louis, la nature et l'art ont embelli.

C'est là que tout est grand, que l'art n'est point timide;
Là tout est enchanté, c'est le palais d'Armide :
C'est le jardin d'Alcine, ou plutôt d'un héros,
Noble dans sa retraite et grand dans son repos,
Qui cherche encore à vaincre, à domter les obstacles,
Et ne marche jamais qu'entouré de miracles.

Voyez-vous et les eaux, et la terre, et les bois,
Subjugués à leur tour, obéir à ses lois ;

A ces douze palais d'élégante structure,
Ces arbres marier leur verte architecture;

Ces bronzes respirer, ces fleuves suspendus,
En gros bouillons d'écume à grand bruit descendus,
Tomber, se prolonger dans des canaux superbes,
Là s'épanchèr en nappe, ici monter en gerbes,
Et dans l'air s'enflammant aux feux d'un soleil pur,
Pleuvoir en gouttes d'or, d'émeraude et d'azur?
Si j'égare mes pas dans ces bocages sombres,
Des faunes, des sylvains en ont peuplé les ombres,
Et Diane et Vénus enchantent ce beau lieu.
Tout bosquet est un temple, et tout marbre est un dieu;
Et Louis, respirant du fracas des conquêtes,

Semble avoir invité tout l'Olympe à ses fêtes.

Un ouvrage périodique de notre pays (Edimburgh Review) s'exprime ainsi au sujet du Poëme des Jardins:

le

« Pour l'exactitude des descriptions, Delille a » presque égalé Thompson, tandis que pour goût et l'éloquence soutenue, il l'a certainement >> surpassé. >>

Ami de M. de Choiseul-Gouffier, Delille le suivit dans son ambassade à Constantinople. I visita la Grèce en poète, et fut sur le point d'être pris par un pirate algérien; au milieu de la consternation que la vue du forban inspirait à ses compagnons de voyage, il leur dit en riant: « Ce co>> quin-là ne s'attend pas à l'épigramme que je vais » faire contre lui. »>

Ce fut sur les bords enchanteurs du Bosphore

de Thrace, et au milieu des scènes les plus propres à l'inspirer, qu'il composa son Poëme de l'Imagination. Peu d'ouvrages de la langue française offrent un aussi grand nombre de beaux et de riches tableaux, de vers ingénieux et brillants. I faut bien en citer un morceau, et je choisis le portrait de l'Arioste:

De tableaux sérieux quelquefois rembrunie,
L'Imagination, pour égayer sa cour,

Permet aux Ris légers d'y paraître à leur tour.
Un jour que de l'ennui les vapeurs lethargiques
S'exhalaient d'un amas d'écrits soporifiques,
D'insipides sonnets, d'odes sans majesté,
De poëmes sans art, de chansons sans gaîté,
Pour bannir les langueurs de la mélancolie,
La déesse appela le Goût et la Folie,
Et leur dit d'enfanter un prodige nouveau.
L'Arioste naquit: autour de son berceau,
Tous ces légers esprits, sujets brillants des fées,
Sur un char de saphir, des plumes pour trophées,
Leurs cercles, leurs anneaux et leur baguette en main,
Au son de la guitare, au bruit du tambourin,
Accoururent en foule, et, fêtant sa naissance,
De combats, de démons bercèrent son enfance.
Un prisme pour hochet, sous mille aspects divers,
Et sous mille couleurs, lui montre l'univers.
Raison, gaîté, folie, en lui tout est extrême.
Il se rit de son art, du lecteur, de lui-même ;
Inspire un sentiment, qu'il étouffe soudain ;

D'un récit commencé, rompt le fil dans sa main;
Le renoue aussitôt, part, s'éieve, s'abaisse.
Ainsi, d'un vol agile essayant la souplesse,
Cent fois l'oiseau volage interrompt son essor,
S'élève, redescend, et se relève encor,
S'abat sur une fleur, se pose sur un chêne.
L'heureux lecteur se livre au charme qui l'entraine;
Ce n'est plus qu'un enfant qui se plaît aux écrits
De géants, de combats, de fantômes, d'esprits;
Qui, dans le même instant, désire, espère, tremble,
S'arrête, s'adoucit, pleure et rit tout ensemble.

Revenu dans sa patrie, Delille reprit avec le même succès ses fonctions de professeur de belleslettres à l'Université, et de poésie latine au collége de France. Personne ne lisait mieux les vers que lui; ils avaient dans sa bouche un charme extraordinaire: c'est pour lui qu'on a fait le mot de dupeur d'oreilles.

Delille était riche des bienfaits de la cour: sa fortune s'évanouït à la révolution; il s'en consola en faisant des vers sur la pauvreté. Pendant la que terreur régnait sur la France, Robespierre, qui venait de rêver une fête à l'Etre suprême, fit demander à Delille des vers sur l'immortalité; et le poète eut le courage d'adresser à cet affreux tyrán le dithyrambe suivant:

Dithyrambe sur l'Immortalité.

Dans sa demeure inébranlable,

Assise sur l'Éternité,

La tranquille Immortalité,

Propice au bon et terrible au coupable,

Du Temps qui sous ses yeux fuit à pas de géant,
Défend l'ami de la justice,

Et ravit à l'espoir du vice

L'asyle horrible du néant.

Oh! vous qui de l'Olympe usurpant le tonnerre,
Des éternelles lois renversez les autels,

Et

Lâches oppresseurs de la terre,

Tremblez! vous êtes immortels.

vous,

vous du malheur victimes passagères

Sur qui veillent d'un Dieu les regards paternels,

Voyageurs d'un moment aux terres étrangères,
Consolez-vous vous êtes immortels.

Peu de temps après, Delille quitta Paris et se retira à Saint-Diez, pays de la femme qu'il a épousée depuis, et où il acheva, dans une solitude profonde, sa traduction de l'Eneïde, le plus faible de ses ouvrages, mais qui renferme encore assez de beaux vers pour faire la réputation d'un autre poète.

Le même journal, dont je vous ai parlé plus haut, fait sur cette traduction de l'Eneïde des réflexions judicieuses dont je crois devoir vous offrir un extrait, ou plutôt une traduction libre.

« L'Enéïde est peut-être le plus négligé de tous » les ouvrages de M. Delille : on y retrouve tout

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