sein un homme dont le talent avait agrandi la littérature et la gloire de la nation. Il fut nommé en effet membre de l'Académie française en 1772; mais cette nomination n'eut pas de suite, parce Delille n'avait pas l'âge prescrit par les régleque ments. Deux ans après il fut réélu, à la place de M. de la Condamine, dont il fit l'éloge, dans son discours de réception, de manière à placer ce discours au rang des meilleures productions académiques. Peu d'années après il acheva son Poëme des Jardins, rempli de descriptions pittoresques et brillantes, telles celle-ci (Chant I.): que Jardins de Versailles. Loin de ces vains apprêts, de ces petits prodiges, C'est là que tout est grand, que l'art n'est point timide; Voyez-vous et les eaux, et la terre, et les bois, A ces douze palais d'élégante structure, Ces bronzes respirer, ces fleuves suspendus, Semble avoir invité tout l'Olympe à ses fêtes. Un ouvrage périodique de notre pays (Edimburgh Review) s'exprime ainsi au sujet du Poëme des Jardins: le « Pour l'exactitude des descriptions, Delille a » presque égalé Thompson, tandis que pour goût et l'éloquence soutenue, il l'a certainement >> surpassé. >> Ami de M. de Choiseul-Gouffier, Delille le suivit dans son ambassade à Constantinople. I visita la Grèce en poète, et fut sur le point d'être pris par un pirate algérien; au milieu de la consternation que la vue du forban inspirait à ses compagnons de voyage, il leur dit en riant: « Ce co>> quin-là ne s'attend pas à l'épigramme que je vais » faire contre lui. »> Ce fut sur les bords enchanteurs du Bosphore de Thrace, et au milieu des scènes les plus propres à l'inspirer, qu'il composa son Poëme de l'Imagination. Peu d'ouvrages de la langue française offrent un aussi grand nombre de beaux et de riches tableaux, de vers ingénieux et brillants. I faut bien en citer un morceau, et je choisis le portrait de l'Arioste: De tableaux sérieux quelquefois rembrunie, Permet aux Ris légers d'y paraître à leur tour. D'un récit commencé, rompt le fil dans sa main; Revenu dans sa patrie, Delille reprit avec le même succès ses fonctions de professeur de belleslettres à l'Université, et de poésie latine au collége de France. Personne ne lisait mieux les vers que lui; ils avaient dans sa bouche un charme extraordinaire: c'est pour lui qu'on a fait le mot de dupeur d'oreilles. Delille était riche des bienfaits de la cour: sa fortune s'évanouït à la révolution; il s'en consola en faisant des vers sur la pauvreté. Pendant la que terreur régnait sur la France, Robespierre, qui venait de rêver une fête à l'Etre suprême, fit demander à Delille des vers sur l'immortalité; et le poète eut le courage d'adresser à cet affreux tyrán le dithyrambe suivant: Dithyrambe sur l'Immortalité. Dans sa demeure inébranlable, Assise sur l'Éternité, La tranquille Immortalité, Propice au bon et terrible au coupable, Du Temps qui sous ses yeux fuit à pas de géant, Et ravit à l'espoir du vice L'asyle horrible du néant. Oh! vous qui de l'Olympe usurpant le tonnerre, Et Lâches oppresseurs de la terre, Tremblez! vous êtes immortels. vous, vous du malheur victimes passagères Sur qui veillent d'un Dieu les regards paternels, Voyageurs d'un moment aux terres étrangères, Peu de temps après, Delille quitta Paris et se retira à Saint-Diez, pays de la femme qu'il a épousée depuis, et où il acheva, dans une solitude profonde, sa traduction de l'Eneïde, le plus faible de ses ouvrages, mais qui renferme encore assez de beaux vers pour faire la réputation d'un autre poète. Le même journal, dont je vous ai parlé plus haut, fait sur cette traduction de l'Eneïde des réflexions judicieuses dont je crois devoir vous offrir un extrait, ou plutôt une traduction libre. « L'Enéïde est peut-être le plus négligé de tous » les ouvrages de M. Delille : on y retrouve tout |