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corps qui avait bien voulu l'admettre; on ne pouvait pas plus mal choisir et le lieu, et le moment. Ce discours souleva tout le parti encyclopédiste; Voltaire lança contre lui une foule d'écrits qui se succédèrent rapidement pendant quelques années. Il l'attaqua tantôt en vers, et tantôt dans de

petits écrits en prose, tels que les Si, les Quand,

les Mais, les Pourquoi; il se livra contre le détracteur des philosophes, à ce talent qu'il avait de saisir et de peindre le ridicule; il amusa ainsi long-temps le public aux dépens de Pompignan, et porta un coup mortel à sa fortune. M. le dauphin, père de Louis XVI, zélé défenseur de la religion, avait eu le projet de confier l'éducation de ses enfants à Pompignan, qui s'en était flatté; mais il ne crut pas devoir élever à cette place un homme que Voltaire venait d'exposer à la risée publique. Ce prince, porté à la raillerie, se plaisait, malgré son zèle religieux, à lire les écrits de Voltaire contre Pompignan; et un jour que celuici était à faire sa cour, le dauphin, frappé de son maintien suffisant, dit tout bas au président Hénault qui se trouva près de lui, ces vers de Voltaire :

César n'a point d'asyle où sa cendre repose,

Et l'ami Pompignan croit être quelque chose.

M. de Pompignan continua à donner prise à son

ennemi. S'étant retiré à Pompignan, il y fit consacrer l'église qu'il avait fait reconstruire, et il fit imprimer un écrit qui exposait toute la pompe de cette cérémonie, détaillant le nombre et la qualité de ceux qui avaient assisté à la procession, et n'oubliant pas de faire mention des jésuites. Voltaire ne passa pas cet écrit sous silence, et fit la chanson suivante, sur l'air d'une chanson faite contre un fat du temps de Louis XIV, appelé Béchamel.

Nous avons vu ce beau village
De Pompignan,

Et ce marquis brillant et sage,
Modeste et grand,

De ses vertus premier garant;

Et vive Louis,

Et Pompignan son favori!

Il a recrépi sa chapelle

Et tous ses vers;

Il poursuit avec un saint zèle

Les gens pervers;
Tout son clergé s'en va chantant:

Et vive Louis,

Et Pompignan son favori!

En aumusse, un jeune jésuite

Marchait devant;

Gravement venait à sa suite
Sieur Pompignan,

En beau satin de président.
Et vive Louis,

Et Pompignan son favori!

Voltaire imagina encore un moyen unique pour décrier les vers de Pompignan, qui a fait des cantiques sacrés, dont plusieurs, malgré les sarcasmes de Voltaire (1), sont fort estimés. Voltaire fit une strophe très ridicule, qu'il donna sous le nom de Pompignan, et que le public crut pendant quelque temps être de lui. La voici :

Quand les fiers Israélites
Des rochers de Belphegor,
Dans les plaines moabites
S'avancerent vers Achor,
Galgala, saisi de crainte,
Abandonna son enceinte,

Fuyant vers Samaraïm;

Et dans leurs rocs se cachèrent
Les peuples qui trébuchèrent
De Béthel à Sébaïm.

Qui croirait que l'auteur de tant de satîres et de diatribes contre Pompignan, lui avait écrit en ces termes?«<Avec quel homme de lettres au» rais-je donc voulu être uni, sinon avec vous,

(1) << Sacrés ils sont, disait Voltaire, car personne n'y touche. >>

→ Monsieur, qui joignez un goût si pur avec un >> talent si marqué? Je sais que vous êtes non seu>>lement homme de lettres, mais un excellent citoyen, un ami tendre: il manque à mon bon>> heur d'être aimé d'un homme comme vous. » Le talent de M. de Pompignan, pour la poésie lyrique, a été universellement reconnu par tous les juges impartiaux. Peu de poètes français ont produit des morceaux plus beaux que ceux qu'on trouve dans l'ode sur la mort de J.-B. Rousseau. J'en citerai deux strophes :

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Le dieu, poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière

Sur ces obscurs blasphemateurs.

M. de La Harpe ayant répété cette strophe à Voltaire, sans nommer l'auteur, il s'écria: Ah! mon Dieu, que cela est beau! Alors M. de La Harpe lui nomma M. de Pompignan, et Voltaire fut assez juste à cette occasion pour continuer encore à le louer.

Quoique les poésies sacrées de M. de Pompignan soient, de tous ses écrits, ceux que Voltaire a le plus cherché à couvrir de ridicule, cependant on y trouve des passages aussi beaux que ceux de l'ode dont je viens de parler. Voici encore deux exemples, l'un dans le genre lyrique, et l'autre dans le genre descriptif qui vous mettront à même d'en juger. Dans le premier, il s'agit de Dieu : Fait-il entendre sa parole,

Les cieux croulent, la mer gémit,
La foudre part, l'aquilon vole,

La terre en silence frémit.
Du seuil des portes éternelles,
Des légions d'esprits fidelles
A sa voix, s'élancent dans l'air;
Un zèle dévorant les guide,
Et leur essor est plus rapide

Que le feu brûlant de l'éclair.

Le morceau suivant, qui est dans le genre des

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