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après la démolition des forts de Dunkerque où il était commissaire-ordonnateur, il vendit, avec l'agrément du roi, sa charge, et se retira à Paris. Vivant heureux, aimé de tout le monde, et passant son temps dans la meilleure société, il fut tué le 23 août 1720, à l'âge de soixante-dix-sept ans, d'un coup de pistolet, dans la rue du Bout-duMonde, vers minuit, au sortir d'une maison où il avait soupé. C'était dans ce temps-là que paru- · rent les Philippiques, satires dirigées contre Philippe d'Orléans régent. Au commencement, on avait soupçonné Vergier d'en être l'auteur; et le public attribua sa mort à la vengeance du prince, l'un des hommes le moins vindicatifs. La Grange-Chancel était le véritable auteur des Philippiques. Vergier fut assassiné par un compagnon du fameux Cartouche, nommé Craqueur, qui, deux ans après, avoua ce crime parmi un grand nombre d'autres, avant d'aller au supplice (1).

Ce qui caractérise la poésie de Vergier, est une extrême facilité. Rien dans ses ouvrages n'a l'air d'avoir été travaillé; tout y porte l'empreinte d'une heureuse abondance; mais on observe qu'il est souvent faible et incorrect. Il y a de lui

(1) Comme on jouait gros jeu dans la maison où Vergier venait de souper, la bande de Cartouche le prit pour un joueur, et le crut chargé d'argent.

des choses très spirituelles, très gaies et très agréables. On en trouve cependant qui paraissent blesser un peu la bienséance.

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Je citerai deux exemples de sa manière d'écrire. Dans le premier vous lisez la réponse de Vergier à une lettre de La Fontaine, du 4 juin 1688, dans laquelle celui-ci racontait qu'en revenant dechez M. d'Hervartà la campagne, où il avait vu Mlle. de Beaulieu, il s'était égaré sur la route. << N'en soyez point soyez point en peine, Monsieur, le ré» cit de vos malheurs n'a point fait verser de lar» mes. On a eu là-dessus toute la fermeté que » vous pouviez souhaiter; et il n'est pas jusqu'à >> madame d'Hervart qui, toute bonne qu'elle est, » n'en ait été fort divertie. Enfin, tout le monde >> en a ri, et personne n'en a été étonné.

Que vous vous trouviez enchanté

D'une beauté jeune et charmante,

L'aventure est peu surprenante.

Quel âge est à couvert des traits de la beauté?
Ulysse au beau parler, non moins vieux, non moins sage
Que vous pouvez l'être aujourd'hui,

Ne se vit-il pas malgré lui

Arrêté par l'amour sur maint et maint rivage ?

Qu'en quittant cet objet dont vous êtes épris,
Sur le choix des chemins vous vous soyiez mépris,

L'accident est encor moins rare.

Eh! qui pourrait être surpris

Lorsque La Fontaine s'égare?

Tent le cours de ses ans n'est qu'un tissu d'erreurs,

Mais d'erreurs pleines de sagesse :
Les plaisirs l'y guident sans cesse

Par des chemins ornés de fleurs.

Les soins de sa famille, ou ceux de sa fortune,
Ne causent jamais son réveil.

Il laisse à son gré le soleil
Quitter l'empire de Neptune,

Et dort tant qu'il plaît au Sommeil.

Il se lève au matin, sans savoir pour quoi faire.
Il se promène, il va sans dessein, sans sujet;
Il se couche le soir, sans savoir d'ordinaire
Ce que dans le jour il a fait.

>> On s'étonne seulement, Monsieur, que vous »> ne vous soyiez égaré que de trois lieues. Selon » l'ordre et selon les lois du mouvement, étant » une fois ébranlé, vous deviez aller sur la même » ligne, tant que terre et votre cheval auraient pu >> vous porter, ou du moins jusqu'à ce que quelque >> muraille opposée à votre passage, en vous heur>> tant, vous fit changer de route; et cette pré>> sence d'esprit doit désormais vous justifier des >> distractions dont on vous accuse.

>>

» En parlant d'Ulysse, j'ai fait réflexion que >> le titre d'Odyssée conviendrait peut-être mieux » à vos aventures que celui d'Iliade que vous leur >> donnez. En effet, les erreurs de ce héros ne >> me paraissent pas avoir peu de rapport avec >> votre voyage, et je ne trouvais qu'une diffé>>rence entre Ulysse et vous:

Ce héros s'exposa mille fois au trépas;

Il parcourut les mers presque d'un bout à l'autre,
Pour chercher son épouse et revoir ses appas :
Quels périls ne couriez-vous pas,

Pour vous éloigner de la vôtre?

» Mais la différence est petite, et il fallait bien >> que cette comparaison eût la destinée de toutes >> les autres, c'est-à-dire, qu'elle clochât un peu. » Vous êtes bien plus juste dans les vôtres. Celle » du Printemps est charmante, et celle de l'Au>> rore est précieuse, et riante au possible. Enfin, >> l'une et l'autre sont telles, qu'elles pourraient >> bien vous avoir fait des affaires. Je me doute » fort qu'une dame et une demoiselle, qui sont >> ici, ne les ont point regardées sans envie. C'est >> une chose étrange, dans ce sexe, que l'ambition » d'être la plus belle; mais vous avez bon moyen >> de vous mettre en grâce.

De votre muse ravissante

Les chants, les discours séducteurs,
Apaiseront, par leurs charmes flatteurs,
Cette tempête menaçante.

Un encens bien moins précieux

Que n'est celui que votre main présente,

A mille fois fléchi la colère des dieux.

» Après tout, Monsieur, c'est bien le moins » que je vous doive pour vos présents, que de >> vous en remercier. Vous êtes le premier homme

» du monde pour les châteaux en Espagne; et puisque vos rêveries sont si agréables, je ne >> m'étonne plus que vous vous y plaisiez tant. » C'est un mal qui se communique, et je vous >> avoue qu'en lisant votre lettre, je n'ai pu me » défendre d'y tomber. >>

Tout indigne que je me sens

Des biens que m'ont donnés vos songes,
J'ai quelque temps abandonné mes sens
A de si doux et si plaisants mensonges.
Déjà mon esprit prévenu

De vos riches bienfaits réglait le revenu.
Déjà dressant les équipages,

Et digne nourrisson de l'aise et du sommeil,
Je me trouvais le teint plus frais et plus vermeil ;
Je me trouvais d'autres vertus encore,
Vertus d'un abbé seulement,

Et que tout autre humain ignore :

Mais enfin, en moins d'un moment,

La raison, qui nous sert bien moins à nous conduire
Qu'à nous persécuter toujours cruellement,

Est venue à mes yeux détruire,

Du faîte jusqu'au fondement,

Un édifice si charmant.

Le second exemple que je me propose de vous offrir, est un Madrigal par Vergier, en voyant la peinture d'un Amour déguisé en cordelier, à une dame qui avait un cordelier pour confesseur. Sous un visage séculier

L'Amour n'ayant pu vous surprendre,

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