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j'ai cité les deux plus belles, il y en a plusieurs de trop faibles :

Vous avez vu tomber les plus superbes têtes,
Et vous pouvez cncore, insensés que vous êtes,
Ignorer le tribut que l'on doit à la mort!

Non, non,
Le riche et l'indigent, l'imprudent et le
Sujets à même loi, subissent mème sort.

tout doit franchir ce terrible passage;

sage,

» Ces derniers vers, surtout, sont trop prosaïques et trop secs. Comparez-les à cet endroit d'un discours en vers de Voltaire, qui dit précisément la même chose :

C'est du même limon que tous ont pris naissance,
Dans la même faiblesse ils traînent leur enfance;
Et le riche et le pauvre, et le faible et le fort,
Vont tous également des douleurs à la mort.

La différence, puisque les idées sont les mêmes, tient uniquement à ce qu'on appelle l'intérêt de style, qualité rare, et qui rachète souvent chez Voltaire ce qu'il a de moins parfait dans d'autres parties......

» Rousseau, livré à son génie, et ne dépendant plus que de lui-même dans ses odes, me semble y avoir mis plus d'inspiration, une verve plus

soutenue.....

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>> Les vrais modèles de la marche de l'ode,

en notre langue, sont dans les belles odes de Rousseau, dans celles au comte Du Luc, au prince Eugène, au duc de Vendôme, à Malherbe. Comparons les idées principales de ces quatre odes avec tout ce que le talent du poète y a mis, et nous comprendrons comment il faut faire une ode. La meilleure théorie de l'art sera toujours l'analyse des bons modèles. »

M. de La Harpe, après avoir cité et examiné différents morceaux de l'ode au comte Du Luc. dit :

<< Il continue, et fait souvenir le comte Du Luc que les dieux, en lui prodiguant leurs dons, ne l'ont pas exempté de la loi commune, qui mêla pour nous les maux avec les biens, et cette idée est rendue avec la même élégance:

C'en était trop, hélas ! et leur tendresse avare,
Vous refusant un bien dont la douceur répare
Tous les maux amassés,

Prit sur votre santé, par un décret funeste,
Le salaire des dons qu'à votre ame céleste
Elle avait dispensés.

Il rappelle tout ce que son héros a fait de mémorable; et quand il a tout dit, il se sert de l'artifice permis en poésie; il suppose qu'il n'est pas en état de remplir un si grand sujet......

Que ne puis-je franchir cette noble barrière!

Mais peu propre aux efforts d'une longue carrière,
Je vais jusqu'où je puis;

Et semblable à l'abeille, en nos jardins éclose,
De différentes fleurs j'assemble et je compose
Le miel que je produis.

Sans cesse, en divers lieux errant à l'aventure,
Des spectacles nouveaux que m'offre la nature,
Mes yeux sont égayés;

Et tantôt dans les bois, tantôt dans les prairies,
Je promène toujours mes douces rêveries
Loin des chemins frayes.

Celui qui, se livrant à des guides vulgaires,
Ne détourne jamais des routes populaires
Ses pas infructueux,

Marche plus sûrement dans une humble campagne,
Que ceux qui, plus hardis, percent de la montagne
Les sentiers tortueux.

Toutefois, c'est ainsi que nos maîtres célèbres
On dérobé leurs noms aux épaisses ténèbres
De leur autiquité;

Et ce n'est qu'en suivant leur périlleux exemple,
Que nous pouvons comme eux arriver jusqu'au temple
De l'Immortalité.

» Notre poésie lyrique a pu traiter de plus grands sujets, et offrir de plus grandes idées. Les idées ne sont pas ce qui brille le plus dans Rousseau; mais pour l'ensemble et le style, je

ne connais rien dans notre langue de supérieur à cette ode. On peut y apercevoir quelques taches, mais légères, et en bien petit nombre.......

» L'ode au prince Eugene n'est pas, à beaucoup près, aussi finie dans les détails; plusieurs strophes sont faibles et communes; mais elle offre aussi des beautés du premier ordre; et le plan, quoiqu'il y ait bien moins d'invention, est lyrique. Elle roule principalement sur cette idée, que le prince Eugène n'a rien fait pour la renommée, et tout pour le devoir et la vertu. Un auteur qui n'aurait eu que des pensées et point d'imagination, La Motte, par exemple, eût nivelé sur ce sujet des stances philosophiques. Mais le poète, qui veut parler de la Renommée, commence par la voir devant lui, et il nous la montre sous les traits que lui a prêtés Virgile:

Est-ce une illusion soudaine

Qui trompe mes regards surpris?
Est-ce un songe dont l'ombre vaine
Trouble mes timides esprits?
Quelle est cette déesse énorme,
Ou plutôt ce monstre difforme,
Tout couvert d'oreilles et d'yeux,
Dont la voix ressemble au tonnerre,
Et qui des pieds touchant la terre,
Cache sa tête dans les cieux?

C'est l'inconstante Renommée,
Qui, sans cesse les yeux ouverts,
Fait sa revue accoutumée

Dans tous les coins de l'univers.

Toujours vaine, toujours errante,
Et messagère indifférente

Des vérités et de l'erreur,

Sa voix, en merveilles féconde,
Va chez tous les peuples du monde
Semer le bruit et la terreur.

Quelle est cette troupe sans nombre
D'amants autour d'elle assidus,
Qui viennent en foule à son ombre
Rendre leurs hommages perdus ?
La vanité qui les enivre,
Sans relâche s'obstine à suivre
L'éclat dont elle les séduit;

Mais bientôt leur ame orgueilleuse
Voit sa lumière frauduleuse

Changée en éternelle nuit.

O toi! qui, sans lui rendre hommage,.

Et sans redouter son pouvoir,
Sus toujours de cette volage
Fixer les soins et le devoir;
Héros, des héros le modèle,
Etait-ce pour cette infidèle

Qu'on t'a vu cherchant les hasards,
Braver mille morts toujours prêtes,.
Et dans les feux et les tempêtes
Défier les fureurs de Mars 2

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