Imágenes de páginas
PDF
EPUB

>> nacent: les enfers, qui attendent les autres cri>> minels, repoussent la malheureuse Phèdre. >> Et quelle inimitable harmonie dans les vers! » quelle énergie de diction! Je me suis souvent >> rappelé qu'un jour, dans une conversation sur Racine, Voltaire, après avoir déclamé ce mor>> ceau avec l'enthousiasme que lui inspiraient les s'écria: Non, je ne suis rien au» près de cet homme-là. Ce n'est pas qu'il faille >> voir dans cette exclamation, presque involontaire, un aveu d'infériorité; c'était l'hommage » d'un grand génie, dont la sensibilité était en » proportion de sa force, et à qui l'admiration >> faisait tout oublier, jusqu'au sentiment de >> l'amour-propre....... »

>> beaux vers,

Misérable! et je vis, et je soutiens la vue
De ce sacré soleil dont je suis descendue!
J'ai pour aïeul le père et le maître des dieux;
Le Ciel, tout l'univers est plein de mes aïeux.
Où me cacher? Fuyons dans la nuit infernale,
Mais que dis-je ? mon père y tient l'urne fatale.
Le sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains;
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
Ah! combien frémira son ombre épouvantée,
Quand il verra sa fille, à ses yeux présentée,
Contrainte d'avouer tant de forfaits divers,
Et des crimes peut-être inconnus aux enfers!
Que diras-tu, mon père, à ce spectacie horrible?

Je crois voir de ta main tomber l'urne terrible;
Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau,
Toi-même de ton sang devenir le bourreau.
Pardonne: un dieu cruel a perdu ta famille.
Reconnais sa vengeance aux fureurs de ta fille.
Hélas! du crime affreux dont la honte me suit,
Jamais mon triste cœur n'a recueilli le fruit.
Jusqu'au dernier soupir, de malheurs poursuivie,
Je rends dans les tourments une pénible vie.

Racine, dégoûté par les indignités qu'il avait éprouvées à l'occasion de Phèdre, prit la résolution de renoncer entièrement au théâtre. Toujours porté vers la dévotion, il voulut se faire chartreux. Son directeur l'en détourna et l'engagea même à épouser, quelques années après, une femme également belle, accomplie et vertueuse, fille d'un trésorier de France, d'Amiens. « Il y avait douze ans, dit un auteur » périodique, que Racine ne songeait plus à la » poésie, par esprit de religion, quand il y fut » rappelé par un devoir de religion auquel >> il ne s'attendait pas. Madame de Maintenon, >> attentive à tout ce qui pouvait procurer aux » jeunes demoiselles de Saint-Cyr une éduca>>tion convenable à leur naissance, se plaignait >> du danger qu'on trouvait à leur faire chanter » et réciter nos plus beaux vers, qui sont tous

[ocr errors]

composés sur des sujets profanes. Elle communiqua sa pensée à Racine, en lui deman» dant s'il ne serait pas possible de réconcilier » la poésie et la musique avec la piété. Racine » fut édifié et alarmé de ce projet. Il désirait >> que tout autre que lui se chargeât de l'exécu» tion. Que diraient ses ennemis, et que se » dirait-il à lui-même, si, après avoir brillé sur >> le théâtre profane, il allait échouer sur un >>> théâtre consacré à la piété ?

>> La demande de madame de Maintenon »jeta Racine dans une grande agitation. Il » voulait plaire à madame de Maintenon. Le > refus était impossible, et la commission très >> délicate pour un homme qui, comme lui, » avait une grande réputation à soutenir, et » qui, s'il avait renoncé à travailler pour les comédiens, ne voulait pas du moins détruire l'opinion que ses ouvrages avaient donnée » de lui. Enfin, après un peu de réflexion, il » trouva dans le sujet d'Esther tout ce qu'il >> fallait tout concilier. Il ne fut pas longpour » temps sans porter à madame de Maintenon

[ocr errors]
[ocr errors]

» non seulement le plan de sa pièce (car il était » accoutumé de les faire en prose, scène pour » scène, avant d'en faire les vers), il porta le » premier acte tout fait. Madame de Maintenon

>> en fut charmée; et sa modestie ne put l'em» pêcher de trouver dans le caractère d'Esther, » et dans quelques circonstances de ce sujet, >> des choses flatteuses pour elle. La Vasthi >> avait ses applications, Aman ses traits de res» semblance; et indépendamment de ces idées, >> l'histoire d'Esther convenait parfaitement à >> Saint-Cyr. >>

La première représentation fut donnée le 3 février 1689, au couvent de Saint-Cyr. « On » n'y admit que les principaux officiers, qui >> suivaient le roi à la chasse. Louis XIV, à » son souper, ne parla que d'Esther; Monsei>> gneur, Monsieur, tous les princes deman» dèrent à la voir; les applaudissements redou>> blèrent.

» La prière d'Esther enleva tout le monde ;' » tout en parut beau, grand, traité avec di>> gnité.

» La troisième représentation fut consacrée >> aux personnes pieuses, telles que le père de » La Chaise, quelques évêques, et douze ou >> quinze jésuites, auxquels se joignirent ma» dame de Miramion, et ses plus distinguées >> religieuses. Madame de Maintenon voulait » se rassurer sur les scrupules qu'elle prévoyait. » Aujourd'hui, leur dit-elle, on ne jouera que

» pour les saints. Les saints applaudirent comme » les autres, et souhaitèrent que toutes les tragédies ressemblassent à Esther.

» Le roi y mena ensuite les courtisans ; ils >> admirèrent de bonne foi. Madame de Main» tenon était importunée de tous côtés. Il y » avait plus de deux mille aspirants, et il n'y » avait que deux cents places. Le roi faisait une >> liste comme pour les voyages de Marly. Il >> entrait le premier; et se tenant à la porte, la >> feuille dans une main, la canne levée dans >> l'autre, en forme de barrière, il y restait jus» qu'à ce que tous les nommés fussent entrés.

>> Le roi et la reine d'Angleterre voulurent » voir la pièce nouvelle. Le spectacle fut encore plus beau : les actrices couvertes de pierreries, >> l'orchestre formé des meilleurs musiciens du >> roi.

>> Madame de Montespan et Louvois se trou» vant sous les noms de Vasthi et d'Aman >> rougissaient et battaient des mains; le roi et » la reine d'Angleterre étaient ravis qu'on re» présentât le pape, qui avait contribué à les » détrôner, comme aveuglé par l'enfer même ; >> Louis XIV, un peu confus des grands éloges » que la piété faisait de lui, était charmé de se >> reconnaître dans la fierté d'un roi

persan,

dans

« AnteriorContinuar »