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cette tragédie, engagea Pradon à composer une pièce sur le même sujet. La Phèdre de Racine a été représentée au théâtre de l'hôtel de Bourgogne, le 1er. janvier 1667, et celle de Pradon, le 3 du même mois, sur le théâtre de Guénégaud. Il Ꭹ avait dans cette cabale presque toutes les personnes qui s'assemblaient à l'hôtel de Rambouillet (1); madame de Lon

(1) Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, fut une des femmes les plus distinguées de son temps. Un grand nombre de gens de mérite fréquentait son hôtel: on y dissertait sur le sentiment; on y jugeait les ouvrages qui paraissaient; mais ce n'était pas toujours le goût et l'impartialité qui présidaient à ces jugements. On a prétendu que le langage de quelques personnes de cette société ressemblait à celui des Précieuses Ridicules. Ménage dit : « J'étais à la première re» présentation des Précieuses ridicules de Molière, au petit » Bourbon; mademoiselle de Rambouillet y était, madame de Grignan, tout l'hôtel de Rambouillet, M. Chapelain, et » plusieurs autres de ma connaissance. La pièce fut jouée avec » un applaudissement général; et j'en fus și satisfait, en mon » particulier, que je vis dès-lors l'effet qu'elle allait produire. » Au sortir de la comédie, prenant M. Chapelain par la main, >> Monsieur, lui dis-je, nous approuvions vous et moi toutes » les sottises qui viennent d'être critiquées si finement, et avec » tant de bon sens; mais, croyez-moi, pour me servir de ce » que dit Saint Remy à Clovis, il nous faudra brûler ce que > nous avons adoré, et adorer ce que nous avons brûlé. Cela

gueville, madame Deshoulières ; et on est faché de dire qu'on accusa madame de Sévigné même d'être du nombre. Mais le chef de la cabale

» arriva comme je l'avais prédit; et de cette première repré»sentation, l'on revint du galimatias et du style forcé. »

Julie d'Angennes, fille de la marquise de Rambouillet, était l'objet des hommages de tous les beaux-esprits. Le célèbre évêque de Grasse, Godeau, homme d'une très petite taille, se faisait honneur d'être appelé son nain. C'est pour elle qu'on fit la fameuse Guirlande de Julie, composée d'un grand nombre de fleurs, sur chacune desquelles on fit des vers contenant des louanges pour celle à qui elle était dédiée. Voici les vers de Desmarets sur la violette:

Modeste en ma couleur, modeste en mon séjour,
Franche d'ambition, je me cache sous l'herbe;
Mais si sur votre front je puis me voir un jour,
La plus humble des fleurs sera la plus superbe.

Elle épousa le duc de Montausier, et fut gouvernante des enfants de France; son mari, homme renommé pour son inflexible probité, fut gouverneur du grand dauphin. On se rappelle ce qu'il dit au dauphin, lorsque ses fonctions de gouverneur vinrent à cesser : « Monseigneur, si vous êtes honnête » homme, vous m'aimerez; si vous ne l'êtes pas, vous me » haïrez, et je m'en consolerai. » Un jour le duc de Montausier voyant jouer au mail M. le dauphin avec quelques jeunes gens de sa cour, il s'aperçut que le marquis de Créqui, qui était très adroit, n'avait pas atteint le but, pour laisser l'avantage à M. le dauphin; le duc de Montausier interpella le marquis en lui disant: Ah! petit corrompu.

était le duc de Nevers, neveu du cardinal Mazarin. Par l'influence de toutes ces personnes réunies, le public fut un moment indécis sur la préférence à donner à l'une ou à l'autre de ces deux pièces. Les ennemis de Racine portèrent si loin leur vengeance, que lorsque sa Phedre fut imprimée, ils en donnèrent une édition où ils substituerent, aux vers les plus beaux, des vers plats et ridicules. Vains efforts! l'ouvrage de Racine est immortel. Celui de Pradon est oublié.

Ces deux Phèdres sont d'après Euripide et Sénèque, qui ont laissé chacun une tragédie sur le même sujet, mais intitulée Hippolyte.

M. de La Harpe observe que Racine a su donner à Phèdre en même temps plus de passion et plus de remords que ces deux anciens. « Qu'on en juge, dit-il, par ce morceau qui » appartient tout entier à l'auteur français >> parce qu'il est le seul qui ait supposé que >> Phèdre avait fait d'abord exiler Hippolyte pour >> l'éloigner de sa vue : >>

Eh bien connais donc Phèdre et toute sa fureur :
J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime,
Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même,
que du fol amour qui trouble ma raison,
Ma lâche complaisance ait nourri le poison.

Ni

Objet infortuné des vengeances célestes,

Je m'abborre encor plus que tu ne me détestes.

Les dieux m'en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang;

Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le cœur d'une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé :
C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé.
J'ai voulu te paraître odieuse, inhumaine;
Pour mieux te résister, j'ai recherché ta haine.
De quoi m'ont profité mes inutiles soins?
Tu me haïssais plus, je ne t'aimais pas moins.
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
J'ai langui, j'ai séché dans les feux, dans les larmes :
Il suffit de tes yeux pour t'en persuader,

Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.

Comme la jalousie est bien peinte dans cet

autre morceau!

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Ah! douleur non encore éprouvée !

A quel nouveau tourment je me suis réservée!

Tout ce que j'ai souffert, mes craintes, mes transports,
La fureur de mes feux, l'horreur de mes remords,
Et d'un refus cruel l'insupportable injure,

N'était qu'un faible essai du tourment que j'endure.
Ils s'aiment! par quel charme ont-ils trompé mes yeux?
Comment se sont-ils vus ? depuis quand? dans quels lieux ?
Tu le savais. Pourquoi me laissais-tu séduire?
De leur furtive ardeur ne pouvais-tu m'instruire?
Les a-t-on vus souvent se parler, se chercher ?
Dans le fond des forêts allaient-ils se cacher?

Hélas! ils se voyaient avec pleine licence :
Le Ciel de leurs soupirs approuvait l'innocence.
Ils suivaient, sans remords, leur penchant amoureux.
Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux.
Et moi, triste rebut de la nature entière,

Je me cachais au jour, je fuyais la lumière.
La mort est le seul dieu que j'osais implorer;
J'attendais le moment où j'allais expirer.

Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée,
Encor, dans mon malheur, de trop près observée,
Je n'osais dans mes pleurs me noyer à loisir :
Je goûtais en tremblant ce funeste plaisir ;
Et, sous un front serein, déguisant mes alarmes,
Il fallait bien souvent me priver de mes larmes.

M. de La Harpe, après avoir rapporté les vers que je citerai ci-après, dit : « Je ne con»> nais rien, dans aucune langue, au-dessus de » ce morceau; il étincelle de traits de la pre»mière force. Quelle foule de sentiments et >> d'images! Quelle profonde douleur dans les >> uns! quelle pompe à la fois magnifique et effrayante dans les autres! Et quel coup de l'art, >> quel bonheur du génie, d'avoir pu les réunir! » L'imagination de Phèdre, conduite par celle » du poète, embrasse le ciel, la terre et les en»fers. La terre lui présente tous ses crimes et » ceux de sa famille; le ciel, des aïeux qui la >> font rougir; les enfers, des juges qui la me

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