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étoit supérieure. Plusieurs hommes ensuite, de talens distingués, allèrent les joindre. De là, ils ne défendirent pas seulement les principes qu'ils avoient adoptés, mais on vit sortir de Port-Royal des ouvrages du plus grand mérite.-Cependant les adversaires des jausénistes se servirent de l'esprit fanatique qui signala les dernières années de la vie de Louis XIV, pour obtenir, en 1710, un ordre de ce monarque pour disperser les solitaires, pour faire détruire les bâtimens de Port-Royal, et exhumer les cadavres qui y étoient enterrés; ordre qui fut exécuté avec la dernière exactitude.

Boileau et Racine passoient pour être jansénistes, parce qu'ils étoient liés d'estime et d'amitié avec messieurs de Port-Royal. Le père Bouhours voulant faire une plaisanterie, disoit un jour à Boileau: On m'a dit qu'on fait à Port-Royal de fameux souliers. Je ne sais pas, mon père, répondit Boileau, comment ils font les souliers; mais je sais, et vous m'avouerez qu'ils vous ont porté de bonnes bottes.

Le jansénisme étoit devenu très-répandu en France on peut compter dans cette classe le plus grand nombre de ceux qui composoient les parlemens; et on voyoit souvent éclater parmi les jansenistes des principes républicains,

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provenant probablement des persécutions qu'ils avoient éprouvées de la

part du

gouvernement. Pour éviter l'oisiveté, tous les solitaires de Port-Royal apprenoient un art mécanique quelconque, ou travailloient à la terre. L'un d'eux avoit choisi le métier de cordonnier, et pris le nom de frère François, suivant l'usage de ces solitaires, qui n'étoient connus et appelés que d'un nom de baptême. Le frère François fit de si grands progrès dans le métier de cordonnier, qu'il devint célèbre dans les environs. Ses souliers étoient mieux faits, duroient plus, et étoient à meilleur marché. C'étoit à qui se feroit chausser lui. L'abbesse du couvent par de Port-Royal en eut l'envie; elle en fut trèscontente, et la plupart des religieuses se firent chausser également par frère François. Mademoiselle de Montbazon, pensionnaire à l'abbaye de Port-Royal, à l'exemple de l'abbesse et des religieuses, voulut lui donner sa pratique. Le frère François lui prit la mesure, un genou en terre, selon la coutume des cordonniers; mais en touchant ce pied mignon, regardant le bas d'une jambe très-bien faite, et portant ensuite ses regards sur une figure charmante, le frère François sentit s'élever dans lui un trouble inconnu. De retour à Port

Royal-des-Champs, il ne fut plus occupé que de la belle pensionnaire : ce pied si bien fait, cette jambe si fine, le poursuivoient à l'église, et s'offroient en songe à son imagination fort exaltée. Les souliers finis, il les baise mille fois, les porte à la belle pensionnaire, et se met en devoir de les essayer. Le voilà encore un genou en terre, touchant ce pied enchanteur. La tête tourne à frère François : il met l'autre genou en terre, et adresse à mademoiselle de Montbazon la plus touchante déclaration d'amour. Elle se lève indignée, et la religieuse qui l'accompagnoit traite frère François avec le plus grand mépris, y joint les menaces, lui ordonne de sortir, et de ne plus revenir dans la maison. - Frère François répond que c'est en tout bien et en tout honneur qu'il aime mademoiselle de Montbazon, et qu'il est prêt à l'épouser. On le croit fou; mais il ajoute que le connétable de Luynes a épousé une Montbazon, et qu'il croit pouvoir prétendre au même honneur, et épouser sa cousine. L'abbesse et les religieuses se plaignirent aux solitaires, qui leur apprirent, à leur grand étonnement, que ce frère François étoit le duc de Luynes, qui dès sa jeunesse avoit donné dans la plus grande dévotion, et qui, pénétré

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de vénération pour les solitaires de Port-Royal, s'étoit retiré parmi eux. On écouta alors patiemment frère François, et il épousa peu de temps après sa belle cousine.

La Montbazon dont parloit frère François, étoit fille d'Hercule de Rohan, duc de Montbazon. Après la mort du connétable de Luynes, elle épousa en secondes noces Claude de Lorraine, duc de Chevreuse. Quoique également célèbre par son esprit et par sa beauté, elle se laissa, dit-on, toujours dominer par ceux qu'elle aimoit. Charles, duc de Lorraine, son premier amant, fut aussi le premier qui la jeta dans les intrigues du gouvernement. Le duc de Buckingham, qui lui succéda, l'entretint dans le même esprit, et continua une correspondance avec elle, après son retour en Angleterre. Son attachement pour la reine, Anne d'Autriche, la rendit naturellement ennemie du cardinal de Richelieu, vu la manière dont il se comportoit envers cette princesse. Le cardinal voulut la faire arrêter elle prit la fuite, et se retira à Bruxelles; mais aussitôt qu'Anne d'Autriche devint régente, elle la rappela de son exil. L'un de ses derniers adorateurs, le fameux coadjuteur, depuis cardinal de Retz, l'engagea dans des intrigues contre Mazarin.

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Cependant, malgré son aversion pour Mazarin, elle conserva toujours un grand ascendant sur l'esprit de la reine. Elle mourut en 1679, à soixante-dix-neuf ans. N'ayant eu par son second mariage que trois filles, dont une mourut sans être mariée, et les deux autres se firent religieuses, elle fit passer son duché de Chevreuse aux enfans qu'elle avoit eus du connétable de Luynes. Le cardinal de Retz dit en parlant d'elle : « Je n'ai jamais vu que madame de Chevreuse, en qui la vivacité suppléât au jugement. Elle avoit des saillies si brillantes, qu'elles paroissoient comme des éclairs, et si sages, qu'elles n'auroient pas été désavouées par les esprits les plus judicieux de son siècle. >>

Lorsqu'elle s'évada pour éviter la prison, elle partit à cheval de Dampierre, avec un habit d'homme. Etant arrivée un soir très-fatiguée, dans un petit village où il n'y avoit point d'auberge, elle demanda au curé s'il voudroit lui accorder l'hospitalité pour une nuit. Le curé y consentit; mais il n'avoit qu'un lit, et il en fit l'observation au jeune cavalier, qui consentit à partager son lit. Quelques an nées après, elle repassa par ce village à la suite de la reine, et elle demanda à voir le curé. Me reconnoissez-vous, lui dit la duchesse?

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