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que l'Histoire de l'Académie française par Pélisson, histoire qui lui ouvrit les portes de cette même académie (*), fut publiée en 1652. Son discours de réception, qui est remarquable par une diction pure, un ton simple, mais noble et élevé, fut prononcé la même année, c'est-à-dire trois ans auparavant qu'il fût question des Lettres provinciales. Les trois mémoires qu'il écrivit ensuite, du fond de la Bastille, pour l'infortuné Fouquet, sont trois chefsd'œuvre. Si quelque chose approche de Cicéron, dit Voltaire, ce sont ces trois fac tums. Lorsqu'il prononça son discours, il n'avoit devant lui aucun modèle; et comme il est certain que cette pièce d'éloquence est entièrement de lui, on peut dire alors que celui qui posséda si parfaitement bien

(*) L'académie fut si satisfaite de cet ouvrage, que n'ayant point de place vacante, elle ordonna que la première qui viendroit à vaquer, seroit pour lui; et qu'en attendant, il auroit droit d'assister et d'opiner comme académicien. Dans les annales de l'académie, on ne trouve pas d'autre exemple d'une pareille distinction.

l'art de s'exprimer, n'avoit pas eu besoin du secours de Pascal pour composer ses factums. Je vais vous donner des exemples de la manière d'écrire de ces deux auteurs. Je prendrai un morceau du discours de Pélisson à l'académie, parce qu'il a précédé, et ses Factums et les Lettres provinciales.

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"( Il y a véritablement un petit nombre de génies extraordinaires, que la nature prend plaisir à former, qui trouvent >> tout en eux-mêmes, qui savent ce qu'on » ne leur a jamais enseigné, qui ne sui» vent pas les règles, mais qui les font et >> qui les donnent aux autres. Quant à »> nous qui sommes d'un ordre inférieur, » si nous n'avons que nos propres forces, >> et si nous n'empruntons rien d'autrui, quel moyen qu'avec un seul jugement >> et un seul esprit, qui n'ont rien que » d'ordinaire et de médiocre, nous con»tentions tant de différens esprits, tant » de jugemens divers, à qui nous expo>> sons nos ouvrages? Quel moyen que de

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» nous-mêmes nous assemblions une infi» nité de qualités, dont les principales. >> semblent contraires? que nos écrits soient » en même temps subtils et solides, forts » et délicats, profonds et polis? que nous >> accordions toujours ensemble la naïveté » et l'artifice, la douceur et la majesté, la clarté et la briéveté, la liberté et l'exactitude, la hardiesse èt la retenue, et quelquefois même la fureur et la raison? »

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Je citerai à présent un passage de Pascal, où il s'adresse aux jésuites.

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« Vous croyez avoir la force et l'impu» nité, mais je crois avoir la vérité et l'in»> nocence. C'est une étrange et longue » guerre, que celle où la violence essaie d'opprimer la vérité. Tous les efforts de » la violence ne peuvent affoiblir la vérité, » et ne servent qu'à la relever davantage. >> Toutes les lumières ne peuvent rien pour » arrêter la violence, et ne font que l'irriter >> encore plus, Quand la force combat la » force, la plus puissante détruit la moin» dre; quand on oppose les discours aux

>> discours, ceux qui sont véritables et >> convaincans, confondent et dissipent >> ceux qui n'ont que la vanité et le men» songe. Mais la violence et la vérité, ne >> peuvent rien l'une sur l'autre. Qu'on ne prétende pas de là, néanmoins, que les >> choses soient égales; car il y a cette ex» trême différence, que la violence n'a qu'un cours borné par l'ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de

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» la vérité qu'elle attaque; au lieu que

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la

>> vérité subsiste éternellement, et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu'elle » est éternelle et puissante comme Dieu » même. »

La diction de ces deux morceaux est également pure; mais le style est différent : celui de chacun est adapté au sujet et aux circonstances dont l'auteur s'occupoit. Le duc de La Rochefoucault, qui écrivoit après Pélisson et Pascal, porta plus de finesse dans sa manière de s'exprimer. La Bruyère, qui succéda à tous les trois, et qui n'est pas assurément leur inférieur,

a un style à lui; et on peut dire la même chose de Voltaire, de Rousseau et de Buffon.

Ce qui caractérise principalement les bons écrivains du siècle de Louis XIV, c'est le naturel et la vérité. Dans les grands sujets, on trouve de la noblesse; quand il le faut, du sublime; jamais rien qui soit outré toutes les convenances sont exactement observées, et chaque mot est à sa place.

L'esprit de religion et l'amour de la gloire qui distinguoient le règne de Louis XIV, de même que le caractère du souverain et de sa cour, avoient infiniment contribué à former les meilleurs écrivains, sur-tout les meilleurs orateurs que la France ait jamais produits. Assurément, rien ne peut inspirer le beau et le sublime comme le sentiment de la religion, sentiment qui nous sépare de nous-mêmes et qui nous élève au-dessus des choses de ce monde. Depuis cette époque si remarquable dans les annales de la littérature, le goût s'est

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